Conspirata
uniforme et revêtu la toge.
César s’inclina devant la chaise et gagna sa place au
premier rang, en face de Cicéron. Il salua poliment mon maître d’un signe de
tête et s’assit pour écouter Caton. Pour une fois, le grand stoïcien fut à
court de mots. N’ayant plus de raison de parler, il s’assit brusquement et, le
mois suivant, César fut élu consul à l’unanimité des votes de toutes les
centuries, et il fut le premier candidat à réussir cet exploit depuis Cicéron.
XVI
Rome tout entière était à présent impatiente de voir ce que
César allait faire.
— La seule chose à laquelle on peut s’attendre, dit
Cicéron, c’est à quelque chose d’inattendu.
Et il ne se trompait pas. Cela lui prit cinq mois, mais
quand César se décida à agir, ce fut un coup de maître.
Vers la fin de l’année, un jour de décembre – soit
peu de temps avant que César n’entre en charge –, Cicéron reçut la visite
de Lucius Cornélius Balbus, personnage éminent venu d’Hispanie.
Ce personnage remarquable avait alors quarante ans. Né à
Gades, d’origine phénicienne, c’était un négociant et il était très riche. Il
avait le teint bistre, la barbe et les cheveux d’un noir de jais et les dents
ainsi que le blanc des yeux aussi éclatants que de l’ivoire poli. Il s’exprimait
avec vivacité et riait beaucoup, rejetant avec bonheur sa petite tête bien
nette en arrière de sorte que les hommes les plus ennuyeux de Rome s’imaginaient
pleins d’esprit après un moment passé en sa compagnie. Il avait le don
particulier de s’attacher aux puissants de ce monde – d’abord Pompée,
sous les ordres duquel il servit en Hispanie et qui s’arrangea pour lui faire
obtenir la citoyenneté romaine, puis César, qui le repéra à Gades quand il
était propréteur, le nomma préfet du génie pendant sa conquête de la Lusitanie,
puis l’emmena avec lui à Rome pour être son chargé de mission. Balbus
connaissait tout le monde, même si, au début, les gens ne voyaient pas qui il
était, et, en cette matinée de décembre, il se précipita sur Cicéron, les mains
tendues, comme s’il retrouvait son meilleur ami.
— Mon cher Cicéron, dit-il en latin avec un fort
accent. Comment vas-tu ? Je ne t’ai jamais vu plus belle mine – et
pourtant, tu as toujours bonne mine à chaque fois que je te vois !
— Alors je suppose que je ne change pas beaucoup,
commenta Cicéron en lui faisant signe de s’asseoir. Et comment se porte César ?
— Il va merveilleusement bien, répondit Balbus, tout à
fait merveilleusement. Il m’a prié de te transmettre ses amitiés, et l’assurance
absolue qu’il est ton ami le plus dévoué et le plus sincère au monde.
— Alors nous ferions mieux de commencer à compter les
cuillers, Tiron, dit Cicéron, sur quoi Balbus applaudit et se tordit
littéralement de rire.
— Ah ! elle est bien bonne – « compter
les cuillers », vraiment ! Je le lui répéterai et ça va l’amuser. Les
cuillers !
Il s’essuya les yeux et reprit son souffle.
— Mais sérieusement, Cicéron, quand César offre son
amitié à quelqu’un, ce ne sont pas des paroles en l’air. Il considère que ce
sont les actes, et non les mots, qui comptent en ce monde.
Cicéron avait encore une montagne de documents juridiques à
lire.
— Balbus, dit-il avec lassitude, tu es de toute
évidence venu me dire quelque chose… alors pourrais-tu avoir l’obligeance de
simplement le dire ?
— Bien sûr. Tu es très occupé. Je m’en rends bien
compte. Pardonne-moi, ajouta-t-il en pressant la main sur son cœur. César veut
que je t’informe que Pompée et lui sont arrivés à un accord. Ils ont l’intention
de régler une fois pour toutes cette question de réforme agraire.
Cicéron me coula un coup d’œil rapide : tout se passait
exactement comme il l’avait prédit. S’adressant à Balbus, il demanda :
— Et quels sont les termes de cet accord ?
— Les terres publiques de Campanie seront réparties
entre les légionnaires démobilisés de Pompée et les Romains pauvres qui
désirent devenir agriculteurs. Une assemblée de vingt commissaires se chargera
de procéder à la distribution. César souhaite tout particulièrement avoir ton
soutien.
Cicéron émit un rire d’incrédulité.
— Mais c’est exactement le projet de loi qu’il a voulu
faire passer au début de mon consulat et auquel je me suis opposé !
— Il y aura une grande
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