Conspirata
pour sa lâcheté. Tu crois que ce sont
des paroles en l’air ? Je suis tout à fait sérieux.
Il porta la main à la poche de sa tunique et me montra un
petit couteau dont la lame n’était pas plus grande que la main. Il me sourit.
Il semblait s’être laissé gagner par la folie.
Nous nous arrêtâmes devant une grande villa de campagne, et
l’intendant de la maison de Pompée se précipita pour nous ouvrir la portière.
Cicéron était venu ici d’innombrables fois. L’esclave le connaissait très bien.
Mais son sourire de bienvenue s’éteignit sur son visage lorsqu’il vit l’apparence
négligée de Cicéron et sa tunique noire. Affolé, il esquissa un pas en arrière.
— Tu sens ça, Tiron ? demanda Cicéron en me
tendant le dos de sa main.
Puis il porta ses doigts à ses narines et renifla.
— C’est l’odeur de la mort !
Il émit un petit rire étrange et descendit de voiture pour
entrer directement dans la maison en lançant par-dessus son épaule à l’intendant :
— Va chercher ton maître. Je connais le chemin.
Je le suivis dans un grand salon rempli de tapis, de
tapisseries et de meubles anciens. Des souvenirs des nombreuses campagnes de
Pompée étaient exposés dans des vitrines – poteries rouges vernissées
d’Hispanie, sculptures en ébène d’Afrique, argenterie ciselée d’Orient. Cicéron
s’assit sur un sofa à haut dossier recouvert de soie ivoire et je me tins à l’écart,
près d’une des portes qui ouvraient sur une terrasse bordée de bustes des
grands hommes de l’Antiquité. Derrière la terrasse, un jardinier poussait une
brouette remplie de feuilles mortes. Je sentais de loin le parfum d’un feu,
hors de vue. Cela m’apparut comme une scène tellement ordonnée et civilisée – une
telle oasis de paix dans la folie de toutes nos terreurs – que je ne
l’ai jamais oubliée. Puis il y eut un petit bruit de pas, et la femme de Pompée
apparut, accompagnée par ses servantes, qui étaient toutes plus âgées qu’elle.
Elle ressemblait à une poupée avec ses frisettes sombres et sa robe verte toute
simple. Elle avait une écharpe autour du cou. Cicéron se leva et lui baisa la
main.
— Je suis très désolée, dit Julia, mais mon mari est
sorti.
Elle rougit et regarda vers la porte. Elle n’était
visiblement pas habituée à mentir.
Le visage de Cicéron s’affaissa légèrement, mais il se
ressaisit.
— Cela ne fait rien, dit-il. Je vais attendre.
Julia jeta un nouveau coup d’œil vers la porte et j’eus
soudain le sentiment que Pompée se trouvait juste derrière et lui indiquait par
signes ce qu’elle devait dire.
— Je ne sais pas trop quand il reviendra,
protesta-t-elle.
— Je suis sûr qu’il va arriver, déclara Cicéron d’une
voix forte à l’intention de quiconque pouvait écouter. Pompée le Grand ne
saurait revenir sur sa parole.
Il s’assit et, après un instant d’hésitation, Julia fit de
même, croisant sagement ses petites mains blanches sur ses genoux. Elle finit
par demander :
— Ton voyage a-t-il été agréable ?
— Fort agréable, merci.
Le silence s’installa à nouveau. Cicéron mit la main dans la
poche de sa tunique, là où se trouvait le petit poignard. Je vis qu’il le
retournait entre ses doigts.
— As-tu vu mon père, récemment ? s’enquit Julia.
— Non, j’ai été souffrant.
— Oh ? Je suis désolé de l’apprendre. Je ne l’ai
pas vu non plus depuis longtemps. Il doit partir incessamment pour la Gaule, et
alors je ne sais pas quand je le reverrai. J’ai de la chance de ne pas avoir à
rester toute seule. C’était affreux quand il était en Hispanie.
— Et la vie d’épouse te convient ?
— Oh, c’est merveilleux ! s’exclama-t-elle avec un
ravissement non feint. Nous restons ici tout le temps. Nous n’allons jamais
nulle part, c’est notre monde à nous.
— Ce doit être agréable. Comme c’est charmant. Une
existence insouciante. Je vous envie.
La voix de Cicéron se brisa et il retira la main de sa poche
pour la porter à son front. Il baissa les yeux sur le tapis. Son corps se mit à
trembler légèrement et je m’aperçus avec horreur qu’il pleurait. Julia se leva
vivement.
— Ce n’est rien, assura-t-il. Vraiment. C’est cette
satanée maladie…
Julia hésita, puis elle se pencha et lui toucha l’épaule.
— Je vais lui redire que tu es ici, dit-elle doucement.
Elle quitta la pièce avec ses servantes. Après
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