D'Alembert
divines et humaines. Les vérités les plus saintes ont été obscurcies et les principes de la monarchie ébranlés.
Rien n'a été respecté ni dans l'ordre civil, ni dans l'ordre spirituel.
La majesté de l'Être suprême et celle des rois sont outragées et l'on ne peut se dissimuler que dans l'ordre de la foi, dans celui des moeurs, dans l'ordre même de l'État, l'esprit du siècle semble le menacer d'une révolution qui présage de toutes parts une ruine et une destruction totale.»
Le clergé voyait juste. Mais l'Encyclopédie dans ses craintes n'occupe qu'une petite part, et le livre sur la destruction des jésuites était à peine signalé.
Il n'est pas vrai non plus, quoique Voltaire, heureux d'enrichir d'un mot nouveau le sottisier littéraire, l'ait répété plusieurs fois, que d'Alembert ait été appelé Rabsacès. J'ai trouvé le passage.
D'Alembert avait écrit :
«La philosophie, à laquelle les jansénistes avaient déclaré une guerre presque aussi vive qu'à la Compagnie de Jésus, avait fait malgré eux et par bonheur pour eux des progrès semblables. Les jésuites, intolérants par système et par état, n'en étaient devenus que plus odieux. On les regardait, si je puis parler de la sorte, comme les grands grenadiers du fanatisme, comme les plus dangereux ennemis de la raison et comme ceux dont il lui importait le plus de se défaire. Les parlements, quand ils ont commencé à attaquer la Société, ont trouvé cette disposition dans tous les esprits. C'est proprement la philosophie qui par la bouche des magistrats a porté l'arrêt contre les jésuites. Le jansénisme n'a été que le solliciteur.»
C'est à l'occasion de ce passage que l'un des auteurs des deux pamphlets très différents portant tous deux pour titre le Philosophe redressé a provoqué par l'introduction du nom de Rabsacès l'ironie dangereuse de Voltaire.
«Quand j'accorderais, dit-il, à ces prétendus destructeurs des jésuites la gloire, dont ils paraissent jaloux, d'avoir prononcé l'arrêt de leur ruine, est-ce qu'il ne faudra pas toujours dire que c'est Dieu qui s'est servi de blasphémateurs, Rabsacès à leur tête, pour tailler en pièces les Éthiopiens, tellement qu'il ne resta personne de leur côté pour enterrer les morts, tandis que les philosophes de Jérusalem s'applaudissaient de leur politique, qui, disaient-ils, avait fait par leur diversion lever le siège aux Assyriens ?»
L'allusion n'est pas claire ; en consultant la Bible on la trouve plus obscure encore. L'auteur avait oublié les détails du siège de Jérusalem ; mais il n'a pas appelé d'Alembert Rabsacès.
On lui en a dit bien d'autres :
«Ne serait-ce pas s'avilir et faire trop d'honneur à cet écrivain que de qualifier en détail toutes ses contradictions ? Un monstre devant un miroir doit avoir horreur de lui-même.»
«L'auteur, disait un autre, est un philosophe qui ose tout contre la vérité et qui, distrait sur son ignorance, se croit un savant du premier ordre. On pourrait définir son écrit : «Pot-pourri ou Recueil d'invectives ineptes contre la religion.»
La menace se mêle à l'injure :
«S'il n'est pas chrétien, qu'il ne s'avise pas de le dire ; il pourrait bien se faire chasser par le peuple à coups de pierre.»
D'Alembert n'était pas chrétien, on ne peut le nier ; mais, pour le lapider sans crime, il fallait attendre une condamnation ; le supplice sans cela n'aurait pas été régulier.
D'autres, plus modérés, se contentaient de dédaigner son talent littéraire. Dans un pamphlet signalé par Bachaumont on déclare que chez lui la vérité se montre sans beauté et l'erreur se cache sans finesse.
Il veut être le singe de Pascal, il n'est qu'un Pasquin. Bachaumont ajoute : «Et cela est vrai».
Le nom de l'auteur désintéressé était connu de tous. La mort de Clairaut laissa vacante à l'Académie des sciences une des places de pensionnaire.
D'Alembert, membre de l'Académie depuis vingt-deux ans et depuis dix ans déjà pensionnaire surnuméraire, ne touchait qu'une partie de la pension.
Il avait tous les droits à remplacer Clairaut ; l'usage le désignait, son mérite l'imposait, et l'Académie, par un vote unanime, le présentait au choix du roi.
L'accueil fait au directeur de l'Académie fut très froid. Le ministre, sans refuser, répondit : «Nous ne sommes pas contents de M. d'Alembert».
On laissa la pension disponible, et l'un des membres de l'Académie, dont le nom est resté justement
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