D'Alembert
non payées en Europe, le procès commercial fait par les négociants de Lyon et de Marseille à ces marchands auxquels leurs statuts prescrivaient la pauvreté. Chaque profès en effet avait prononcé ce serment : «Je ne travaillerai jamais, en aucune façon, ni ne consentirai jamais au changement des règlements faits sur la pauvreté par les constitutions de la société, si ce n'est quand, par de justes causes, les circonstances pourront exiger que cette pauvreté soit encore restreinte davantage».
On faisait remarquer cependant qu'on peut être pauvre au milieu de l'abondance. Si la société possédait des biens considérables, les membres de ce corps devenu opulent pourraient encore pratiquer la pauvreté évangélique.
Cette ingénieuse remarque justifiait tout. La banqueroute était un malheur impossible à prévoir. Cela était vrai, mais ce malheur n'arrive pas sans qu'on s'y soit exposé. La malédiction des richesses tombe plus encore que sur les riches sur ceux qui ont soif de le devenir.
La banqueroute des jésuites, importante par le chiffre des intérêts engagés-les dettes s'élevaient à 3 millions,-l'était surtout par les révélations qui en sortaient. Elle fut portée à la grand'chambre du Parlement de Paris. Les jésuites furent condamnés, aux applaudissements de la foule qui encombrait le palais, à payer les dettes de leurs frères, avec défense de faire du commerce. La joie fut universelle.
Ce fut le commencement de leurs malheurs. Leurs constitutions, qu'il fallut produire, furent déclarées contraires aux lois du royaume, à l'obéissance due au souverain, à la sûreté de sa personne et à la tranquillité de l'État.
Après avoir jusque-là conservé en racontant les faits son rôle d'historien impartial, d'Alembert rencontre la question de droit ; sa doctrine est singulière. La suppression des jésuites était utile à la tranquillité publique ; il faut applaudir sans se soucier des motifs allégués. Les moyens juridiques, il le déclare et l'approuve, ne sont et ne devaient être que des prétextes. «Ce n'est pas parce qu'on croit les jésuites plus mauvais Français que les autres religieux qu'il faut les disperser et les détruire, c'est parce qu'on les sait plus redoutables.
Ce motif, quoique non juridique, est meilleur qu'il ne faut pour s'en défaire.»
Singulière et dangereuse doctrine sur les devoirs et les droits du premier tribunal de l'État.
D'Alembert, toujours franc, ajoute, pour que sa pensée soit bien comprise :
«La ligue de la nation contre les jésuites ressemble à la ligue de Cambrai contre la république de Venise, qui avait pour principale cause les richesses et l'insolence de ces républicains.»
«Les pères, ajoute-t-il, ont osé prétendre, et plusieurs évêques ont osé l'imprimer, que le gros recueil d'assertions extrait des auteurs jésuites par ordre du Parlement, recueil qui a servi de motif principal pour leur destruction, n'aurait pas dû opérer cet effet ; qu'il avait été composé à la hâte par des prêtres jansénistes et mal vérifié par des magistrats peu propres à ce travail ; qu'il était plein de citations fausses, de passages tronqués et mal entendus, d'objections prises pour des réponses, enfin de mille autres infidélités semblables.
«Telle est la prétention des jésuites. Les magistrats, dit d'Alembert, ont pris la peine de répondre.
À quoi bon ?
«On ne peut nier, ajoute-t-il, que parmi un grand nombre de citations exactes, il ne soit échappé quelques méprises ; elles ont été avouées sans peine ; mais ces méprises, quand elles seraient beaucoup plus fréquentes, empêchent-elles que le reste ne soit vrai ?» D'Alembert ici se borne à oublier les leçons reçues à l'École de droit. Mais ce qui suit dépasse toute mesure.
«La plainte des jésuites et de leurs défenseurs fût-elle aussi juste qu'elle le paraît peu, qui se donnera la peine de vérifier tant de passages ? En attendant que la vérité s'éclaircisse, si de pareilles vérités en valaient la peine, le recueil aura produit le bien que la nation désirait : l'anéantissement des jésuites.»
Et ce n'est pas dans une lettre confidentielle, c'est dans le livre même de l'auteur désintéressé qu'on peut lire cet étrange passage.
Le tort fait à la justice et à la morale par un arrêt motivé sur des calomnies (telle est l'hypothèse) ne serait-il pas précisément conforme aux principes les plus dangereux reprochés à la
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