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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
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embouteillés par des automobiles dont les phares transformaient l’avenue en un canal de platine. À une rue à l’est de la porte, Boris se gara devant l’entrée de l’ambassade soviétique, située au 7 Unter den Linden. Il fit entrer Martha dans le bâtiment et lui fit traverser plusieurs couloirs, puis monter une volée de marches jusqu’à ce qu’ils parviennent devant une porte anonyme.
    Il sourit et poussa la porte, puis fit un pas de côté pour la laisser passer. Il alluma une lampe à pied et deux bougies rouges. La pièce rappela d’abord à Martha une chambre de résidence universitaire, bien que Boris eût fait son possible pour lui donner une apparence plus agréable. Elle vit une chaise, deux fauteuils et un lit. Sur l’oreiller, il avait posé un tissu brodé dont il lui précisa qu’il provenait du Caucase. Un samovar pour faire le thé occupait une table près de la fenêtre.
    Dans un coin de la pièce, sur une étagère, Martha trouva une série de photographies de Vladimir Lénine centrées autour d’un seul grand portrait qui le représentait sous un jour que Martha n’avait encore jamais vu, comme un ami fixé sur un instantané, pas le Lénine au visage sévère de la propagande soviétique. Étaient aussi disposées diverses brochures en russe, l’une avec ce titre scintillant, traduit par Boris : « Équipes d’inspection d’ouvriers et de paysans. » Boris présenta tout cela comme son « coin Lénine », son équivalent soviétique des images pieuses que les Russes orthodoxes accrochent traditionnellement dans le coin d’une pièce. « Mon peuple, comme tu as dû le lire dans les romans russes que tu apprécies, avait, et continue de garder, un coin pour les icônes, précisa-t-il. Mais je suis un Russe moderne, un communiste ! »
    Dans un autre coin, elle trouva un deuxième autel, dont la pièce maîtresse, découvrit-elle, n’était autre qu’elle-même. Boris l’appelait son « coin Martha ». Une photographie d’elle était posée debout sur une petite table, miroitant dans la lueur rougeoyante d’une bougie. Plusieurs lettres de la jeune femme et d’autres photographies étaient également exposées. Photographe amateur passionné, il avait pris de nombreux clichés au cours de leurs excursions autour de Berlin. Il y avait aussi des souvenirs – un mouchoir en fil qu’elle lui avait offert et la tige de menthe sauvage de leur pique-nique de septembre 1933, à présent séchée mais dont émanait encore une vague senteur. Se trouvait là aussi la statuette de religieuse en bois sculpté qu’elle lui avait envoyée en réponse à ses trois petits singes de la sagesse ; Boris l’avait complétée en y ajoutant une minuscule auréole composée de fil d’or fin.
    Plus récemment, il avait disposé des pommes de pin et des rameaux de sapin sur son autel à Martha et les senteurs de la forêt envahissaient la chambre. Il les avait ajoutés, lui expliqua-t-il, pour montrer que son amour pour elle serait « toujours vivace ».
    « Mon Dieu, Boris ! s’exclama-t-elle en riant, tu es si romantique ! Est-ce bien convenable de la part d’un communiste endurci comme toi ? »
    Après Lénine, lui fit-il savoir, « tu es celle que j’aime le plus ». Il embrassa son épaule nue et devint brusquement grave. « Mais au cas où tu ne comprendrais pas encore, mon parti et mon pays passeront toujours avant. »
    Le brusque changement, l’expression de son visage… de nouveau, elle rit. Elle dit à Boris qu’elle comprenait. « Les sentiments de mon père pour Thomas Jefferson sont presque les mêmes que les tiens pour Lénine », dit-elle.
    Ils commençaient à flirter quand, soudain, sans bruit, la porte s’ouvrit et une fillette blonde, à laquelle Martha donnait environ neuf ans, entra. Elle comprit aussitôt qu’elle devait être la fille de Boris. Elle avait exactement les yeux de son père – « extraordinaires, lumineux », écrit Martha – bien que, par ailleurs, elle parût totalement différente. Elle avait un visage quelconque et n’avait pas la gaieté irrépressible de son père. Elle avait l’air sombre. Boris se leva et s’approcha d’elle.
    « Pourquoi fait-il si noir ici ? demanda la gamine. Ça ne me plaît pas. »
    Elle parlait russe et Boris traduisait. Martha soupçonnait que la fillette comprenait l’allemand, puisqu’elle était scolarisée à Berlin, mais qu’elle s’exprimait en russe

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