Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
Vom Netzwerk:
refuges de montagne collectifs, de peur de parler dans leur sommeil. Ils repoussaient les opérations chirurgicales à cause des effets secondaires de l’anesthésie qui dénouent la langue. Les rêves reflétaient l’angoisse ambiante. Un Allemand rêva qu’un SA  2  venait chez lui et ouvrait la porte de son four, qui dévidait toutes les critiques ayant prononcées sous son toit contre le gouvernement. Après avoir vécu dans l’Allemagne nazie, Thomas Wolfe écrivit : « Il y avait là un peuple tout entier  3 … infesté par la contagion d’une peur omniprésente. C’était une sorte de paralysie insidieuse qui déformait et dégradait toutes les relations humaines. »
    Les Juifs étaient évidemment touchés de plein fouet. Une étude sur ceux qui fuirent l’Allemagne, effectuée entre 1993 et 2001 par Eric A. Johnson et Karl-Heinz Reuband, spécialistes de l’histoire sociale, montre que 33 % avaient vécu dans « La crainte constante de l’arrestation »  4 . Parmi ceux qui avaient habité dans de petites villes, plus de la moitié se souvenaient avoir redouté cela. La plupart des non-Juifs, cependant, affirmaient avoir eu rarement peur – à Berlin, par exemple, seulement 3 % parlaient d’une crainte constante de l’arrestation – mais ils ne se sentaient pas totalement à l’aise. À vrai dire, la plupart des Allemands vivaient dans une sorte de réalité parallèle. Ils étaient gagnés par l’idée que leur capacité à mener une vie normale « dépendait de leur acceptation du régime nazi, en gardant la tête baissée et en évitant de se faire remarquer ». S’ils restaient dans le rang, acceptaient d’être « mis au pas », ils étaient en sécurité – bien que l’étude relève également une tendance surprenante parmi les Berlinois non juifs à faire preuve d’une certaine audace. Quelque 32 % déclaraient avoir raconté des blagues antinazies  5  et 49 % affirmaient avoir écouté des émissions de radio interdites en provenance d’Angleterre et d’ailleurs. Toutefois, ils n’osaient commettre ces infractions qu’en privé ou parmi des amis de confiance, car ils savaient que les conséquences pouvaient être terribles.
    Pour les Dodd, au début, cette situation était tellement inédite et invraisemblable qu’elle était presque risible. Martha éclata de rire la première fois que son amie Mildred Fish Harnack insista pour qu’elles aillent dans la salle de bains afin d’avoir une conversation discrète. Selon Mildred, les salles de bains étant peu meublées, il était plus difficile d’y dissimuler des appareils d’écoute que dans une salle à manger encombrée. Et même alors, Mildred « chuchotait de façon quasi inaudible »  6 , d’après Martha.
    Ce fut Rudolf Diels qui, le premier, fit comprendre à Martha la réalité nullement comique de la pratique émergente de la surveillance. Un jour, il l’invita dans son bureau  7  et, avec une fierté manifeste, déploya toute une variété d’appareils servant à enregistrer les conversations téléphoniques. Il l’amena à penser qu’un système d’écoute avait bien été installé à l’intérieur de la chancellerie de l’ambassade américaine et à la résidence. L’idée la plus courante voulait que les espions nazis cachent leurs micros dans les téléphones pour recueillir les conversations dans les pièces environnantes. Un soir tard, le comportement de Diels parut confirmer cela. Il avait emmené Martha danser. Ensuite, arrivé chez elle, Diels l’accompagna à la bibliothèque à l’étage pour boire un verre. Il était mal à l’aise et voulait parler. Martha prit un gros coussin, puis traversa la pièce en direction de la table de son père. Diels, perplexe, lui demanda ce qu’elle faisait. Elle lui dit qu’elle comptait poser le coussin sur le téléphone. Diels hocha la tête, lentement, et « un sourire sinistre se dessina sur ses lèvres »  8 , précise-t-elle.
    Elle raconta cela à son père le lendemain. La nouvelle le surprit. Même s’il admettait que le courrier était probablement intercepté, le téléphone et les lignes télégraphiques mis sur écoute, comme probablement à la chancellerie, il n’aurait jamais imaginé qu’un gouvernement aurait l’effronterie de placer des micros à l’intérieur de la résidence privée d’un diplomate. Néanmoins, il prit cela au sérieux. Il avait déjà eu tout loisir de constater

Weitere Kostenlose Bücher