Dans le jardin de la bête
un provocateur ; pour ses adversaires au Département d’État, Dodd était un franc-tireur qui se plaignait trop et n’avait pas su respecter les règles du « bon petit club ». Dans une lettre adressée à Bill Jr, Roosevelt se montrait d’une réserve frustrante : « Connaissant sa passion 20 pour la vérité historique et sa rare capacité à éclairer le sens de l’histoire, sa disparition est une perte profonde pour la nation. »
Pour ceux qui avaient côtoyé Dodd à Berlin et qui avaient été témoins de la répression et de la terreur que faisait régner le gouvernement nazi, il resterait toujours un héros. Sigrid Schultz appelait Dodd « Le meilleur ambassadeur 21 que nous ayons eu en Allemagne », et elle louait son empressement à se dresser pour les valeurs de l’Amérique malgré l’opposition de son gouvernement. Elle écrivit : « Washington ne lui a pas apporté le soutien dû à un ambassadeur dans l’Allemagne nazie, en partie parce que trop d’hommes au Département d’État nourrissaient une passion pour les Allemands et parce que trop d’hommes d’affaires influents de notre pays croyaient qu’on “pouvait commercer avec Hitler”. » Le rabbin Wise écrit dans ses mémoires, Challenging Years : « Dodd avait compris 22 , des années avant le Département d’État, les implications politiques et morales de l’hitlérisme, et il a payé le prix de cette lucidité en étant pratiquement chassé de son poste, pour avoir eu la correction et le courage, seul parmi tous les ambassadeurs, de refuser d’assister aux célébrations annuelles de Nuremberg qui glorifiaient Hitler. »
Sur le tard, même Messersmith applaudit la lucidité de Dodd : « Je me dis souvent 23 que très peu d’hommes ont su saisir, comme lui, ce qui se produisait en Allemagne, et certainement très peu d’hommes ont su saisir mieux que lui les répercussions pour le reste de l’Europe, pour nous et pour le monde entier, des événements dans le pays. »
Le plus remarquable éloge vint du romancier Thomas Wolfe qui, lors d’une visite en Allemagne au cours du printemps 1935, avait eu une brève aventure avec Martha. Il écrivit alors à son éditeur, Maxwell Perkins, que l’ambassadeur Dodd avait contribué à susciter en lui « une fierté et une foi renouvelées 24 dans l’Amérique, et la conviction que, d’une manière ou d’une autre, un grand avenir nous était encore réservé ». La maison habitée par les Dodd, au 27 a de la Tiergartenstrasse * , disait-il à Perkins, « est un havre de liberté et de courage pour les gens de toutes opinions, et les gens qui vivent dans la terreur peuvent y reprendre leur souffle sans aucune crainte et exprimer le fond de leur pensée. Je sais que cela est vrai et, en outre, l’indifférence nette, franche, sans fard, avec laquelle l’ambassadeur considère toute la pompe, les paillettes, les médailles et le bruit des bottes vous réjouirait le cœur ».
Hugh Wilson, qui lui succéda, était un diplomate à l’ancienne contre lequel Dodd avait beaucoup récriminé. C’était Wilson, en fait, qui avait décrit le premier les Affaires étrangères comme « un bon petit club ». La devise de Wilson, qu’il tenait de Talleyrand, n’était pas franchement exaltante : « Surtout, pas trop de zèle 25 . » En tant qu’ambassadeur, Wilson fit tout pour mettre en avant les aspects positifs de l’Allemagne nazie et poursuivit sa propre campagne de conciliation. Il promit à Joachim von Ribbentrop, le nouveau ministre des Affaires étrangères, que, si la guerre éclatait en Europe, il ferait tout son possible pour maintenir les États-Unis à l’écart. Wilson accusa la presse américaine d’être « contrôlée par les Juifs » 26 et de chanter un « chant de haine alors qu’on s’efforce ici de construire un avenir meilleur ». Il loua Hitler comme « l’homme qui a sorti son peuple 27 du désespoir moral et économique pour l’amener à cet état de fierté et de prospérité évidente dont ils bénéficient maintenant ». Il admirait particulièrement l’organisation nazie « La Force par la joie », qui faisait partie du programme nazi et qui offrait à tous les travailleurs allemands des vacances et autres loisirs à peu de frais. Wilson y voyait un bon moyen pour aider l’Allemagne à résister aux incursions communistes et museler les revendications salariales des
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