Dans le jardin de la bête
seuls. » Elle passait son temps à s’occuper de sa maison et à jardiner : « Des fruitiers, des lilas, des légumes, des fleurs, des oiseaux, des insectes… un seul serpent en quatre ans ! »
Martha apprit pendant cette période qu’un de ses anciens amants, Rudolf Diels, était mort, d’une façon totalement inattendue pour ce champion de la survie. Après deux ans à Cologne 13 , il était devenu commissaire régional à Hanovre, avant d’être licencié pour excès de zèle. Il prit un emploi de directeur des transports fluviaux pour une société civile, mais fut ensuite arrêté dans le vaste coup de filet qui suivit la tentative d’assassinat contre Hitler, le 20 juillet 1944. Diels survécut à la guerre et, pendant les procès de Nuremberg, il témoigna à charge. Plus tard, il devint haut fonctionnaire du gouvernement d’Allemagne de l’Ouest. Sa chance le lâcha le 18 novembre 1957 au cours d’une partie de chasse. Comme il sortait son fusil de sa voiture, le coup partit et le tua.
Martha perdit ses illusions concernant le communisme tel qu’il se pratiquait dans la vie quotidienne. Son désenchantement devint un réel dégoût pendant le printemps de Prague, en 1968, quand, un matin au réveil, elle vit les tanks soviétiques dévaler la rue devant sa maison, envahissant la Tchécoslovaquie. « Ce fut, écrit-elle, l’un des spectacles les plus hideux 14 et répugnants auxquels nous ayons jamais assisté. »
Elle renoua par courrier avec de vieux amis. Elle entreprit une correspondance pleine de verve avec Max Delbrück. Elle s’adressait à lui ainsi : « Max, mon amour 15 » ; il l’appelait « ma Martha adorée ». Ils badinaient au sujet de leurs imperfections physiques grandissantes. « Je vais bien, très bien, vraiment bien, lui assurait-il, à part un petit problème cardiaque et un petit myélome multiple. » Il jurait que la chimiothérapie avait fait repousser ses cheveux.
D’autres hommes se tiraient moins bien de cet exercice d’évaluation rétrospective que faisait Martha. Le prince Louis Ferdinand était devenu « ce crétin » 16 et Putzi Hanfstaengl « un vrai bouffon » 17 .
Mais un grand amour resurgit, aussi incandescent que jamais. Martha avait recommencé à écrire à Bassett, son ex-mari – le premier de ses trois grands amours – et, bientôt, ils correspondaient comme s’ils avaient de nouveau vingt ans, analysant leur idylle pour essayer de comprendre pourquoi celle-ci avait mal tourné. Bassett avoua qu’il avait détruit toutes les lettres d’amour 18 qu’elle lui avait envoyées, s’étant rendu compte que, « même avec le temps, je ne pourrais jamais supporter de les relire, encore moins aurais-je voulu que quelqu’un d’autre les découvre après ma disparition ».
En revanche, Martha avait conservé les siennes. « Et quelles lettres d’amour ! » 19 précise-t-elle.
« Une chose est sûre 20 , lui confia-t-elle dans une lettre de novembre 1971, à soixante-trois ans. Si nous étions restés ensemble, nous aurions eu une vie pleine de vitalité, de diversité et de passion… Je me demande si tu aurais été heureux avec une femme aussi peu conventionnelle que je le suis et l’étais jadis, même si nous n’aurions pas eu les complications que j’ai subies plus tard. Cependant j’ai connu la joie avec la peine, la productivité avec la beauté, et puis le choc ! Je t’ai aimé et j’ai aimé Alfred et puis un autre, et c’est encore le cas. Tel est donc le drôle d’oiseau, toujours bien vivant, que tu as jadis aimé et épousé. »
En 1979, une cour fédérale 21 blanchit Martha et son mari de tout chef d’accusation, bien qu’à contrecœur, faisant état d’un manque de preuves et de la mort des témoins. Ils rêvaient de retourner en Amérique et envisagèrent de le faire, mais se rendirent compte qu’un autre obstacle leur barrait la route. Pendant toutes ces années d’exil, ils n’avaient payé aucun impôt aux États-Unis. La dette accumulée représentait à présent un montant astronomique.
Ils envisagèrent de s’installer ailleurs – en Angleterre ou en Suisse – mais un autre obstacle se dressa, plus obstiné que tout autre chose : l’âge.
À présent, les années et la maladie avaient gravement marqué le monde dont se souvenait Martha. Son frère Bill était mort 22 en octobre 1952 d’un cancer, laissant une
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