Dans le jardin de la bête
coopération internationale devrait être essentielle, les nations sont plus divisées que jamais ». Il dit à son auditoire que les leçons de la Grande Guerre n’avaient servi à rien. Il loua le peuple allemand, « fondamentalement démocrate, des gens bienveillants les uns envers les autres […]. Je doute, ajouta-t-il, qu’un seul ambassadeur en Europe accomplisse correctement son devoir et mérite le salaire qu’il gagne ».
Il changea de ton en débarquant aux États-Unis. Le 13 janvier 1938, à un dîner donné en son honneur au Waldorf-Astoria à New York, il déclara : « L’humanité se trouve en grand danger 2 , mais on dirait que les gouvernements démocrates ne savent pas comment agir. S’ils ne font rien, la civilisation occidentale, les libertés religieuses, privées et économiques seront en grand danger. » Ces propos lui attirèrent une protestation immédiate de la part de l’Allemagne ; le secrétaire Hull répliqua que Dodd était désormais une personne privée et que, à ce titre, il pouvait s’exprimer librement. Cependant, il y eut un débat parmi les fonctionnaires du Département d’État pour savoir si le ministère devait tout de même s’excuser en publiant un communiqué dans le style : « Nous regrettons toutes les déclarations susceptibles de créer du ressentiment à l’étranger. » L’idée fut repoussée, du fait de l’opposition de Jay Pierrepont Moffat, qui nota dans son journal : « J’étais fermement convaincu 3 que, en dépit de mon antipathie et de mes désaccords avec M. Dodd, nous n’avions pas à présenter d’excuses pour ses propos. »
Après ce discours, Dodd se lança dans une campagne afin de donner l’alarme concernant les agissements d’Hitler, et pour se battre contre la dérive isolationniste croissante des États-Unis ; plus tard, on le baptisa la Cassandre des diplomates américains. Il fonda le American Council Against Nazi Propaganda (Conseil américain contre la propagande nazie), et devint membre des American Friends of Spanish Democracy (les Amis américains de la démocratie espagnole). Lors d’un discours, le 21 février 1938 à Rochester, dans l’État de New York, devant une assemblée de fidèles juifs, Dodd lança cet avertissement : dès qu’Hitler aura mis la main sur l’Autriche – ce qui paraissait imminent –, l’Allemagne cherchera à étendre son autorité au-delà, de sorte que la Roumanie, la Pologne et la Tchécoslovaquie étaient menacées. De plus, il prédit qu’Hitler poursuivrait librement ses ambitions, sans rencontrer de résistance armée des autres démocraties européennes, car celles-ci préféreraient faire des concessions, plutôt que d’entrer en guerre. « La Grande-Bretagne 4 , précisa-t-il, est terriblement exaspérée, mais désire aussi fortement la paix. »
La famille se dispersa, Bill pour un poste d’enseignement et Martha à Chicago, puis à New York. Dodd et Mattie s’installèrent dans la ferme de Round Hill, en Virginie, mais se rendaient occasionnellement à Washington. Le 26 février 1938, juste après avoir déposé son mari à la gare de Washington pour le début d’une tournée de conférences, Mattie écrivit à Martha à Chicago : « J’aurais tellement souhaité que nous vivions plus près 5 les uns des autres pour pouvoir discuter des choses et passer du temps ensemble. Nos vies filent si vite. Ton père dit souvent souhaiter que tu nous rendes visite et quelle joie ce serait de vous avoir, toi et Billy, près de lui. J’aurais aimé qu’il fût plus jeune et plus vigoureux. Il est très délicat et sa vitalité diminue. »
Elle était profondément préoccupée par les événements en Europe. Dans une autre lettre à Martha, peu après, elle écrivit : « Le monde semble dans un tel chaos à présent, je ne sais pas ce qui va arriver. Dommage qu’on ait laissé si longtemps ce malade n’en faire qu’à sa tête. Nous nous trouverons peut-être, tôt ou tard, impliqués, Dieu nous préserve. »
Mme Dodd ne partageait pas la passion de son mari pour la ferme de Round Hill. C’était agréable l’été et pendant les vacances, mais pas pour y vivre en permanence. Elle espérait qu’ils arriveraient à acquérir un appartement à Washington où elle pourrait vivre une partie de l’année, avec ou sans lui. Entre-temps, elle se mit en devoir de rendre la ferme plus habitable. Elle acheta des rideaux
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