Dans le jardin de la bête
ouvriers – de l’argent que les ouvriers gaspillaient « généralement à des futilités » 28 . Pour lui, cette approche « allait bénéficier au monde dans son ensemble ».
Dans une lettre de Paris datée du 7 décembre 1937, l’ambassadeur William Bullitt félicitait Roosevelt d’avoir opté pour Wilson : « Je crois sincèrement que les chances 29 de paix en Europe se trouvent hautement accrues du fait que vous avez nommé Hugh à Berlin, et je vous en remercie sincèrement. »
En fin de compte, bien sûr, ni l’approche de Dodd ni celle de Wilson ne faisaient guère de différence. Comme Hitler renforçait son pouvoir et effrayait son public, seul un geste fort exprimant le désaveu américain aurait pu avoir un effet, peut-être l’« intervention vigoureuse » suggérée par George Messersmith dès septembre 1933. Cependant, un tel acte était politiquement impensable dans une Amérique se laissant aller au fantasme qu’elle pourrait rester à l’écart des conflits en Europe. « Mais l’histoire 30 , écrivit Claude Bowers, ami de Dodd et ambassadeur en Espagne puis au Chili, retiendra que, dans une période où les forces de la tyrannie se mobilisaient en vue d’exterminer la liberté et la démocratie en tout endroit, quand une politique de “conciliation” malvenue approvisionnait les arsenaux du despotisme et quand, dans de nombreux cercles de la haute société et quelques cercles politiques, le fascisme était à la mode et la démocratie l’anathème, [Dodd] défendit sans faillir notre système démocratique, mena un combat honorable et garda la foi, et quand la mort l’emporta, son pavillon continuait de flotter. »
En effet, on peut s’interroger : pour que le Der Angriff de Goebbels attaque Dodd quand il était prostré sur son lit d’hôpital, était-il donc aussi inefficace que ses ennemis le prétendaient ? Au final, Dodd se révéla être exactement ce que Roosevelt avait voulu : un ultime symbole de la liberté et de l’espérance américaines sur une terre en proie à des ténèbres grandissantes.
* D’après le témoignage de sa belle-fille recueilli par l’auteur, la famille du propriétaire de la maison louée par Dodd survécut. Alfred Panofsky quitta Berlin probablement en 1938 pour l’Amérique afin de rejoindre sa femme, ses enfants et sa mère partis l’année précédente. ( NdT. )
Épilogue
Ce drôle d’oiseau en exil
M artha et Alfred Stern habitaient dans un appartement dans Central Park West à New York et possédaient une propriété à Ridgefield, dans le Connecticut. En 1939, Martha publia un livre de souvenirs, Through Embassy Eyes . L’Allemagne s’empressa d’interdire le livre, sans surprise compte tenu de certaines observations de Martha concernant les hauts dirigeants du régime. Par exemple : « Si les lois de stérilisation nazies 1 avaient eu quelque logique ou objectivité, le Dr Goebbels aurait été stérilisé depuis longtemps. » En 1941, elle publia avec son frère Bill les carnets de son père. Ils espéraient aussi sortir un recueil de correspondance de leur père et demandèrent à George Messersmith de les autoriser à reproduire plusieurs lettres qu’il avait envoyées à Dodd de Vienne. Celui-ci refusa. Quand Martha lui fit savoir qu’elle les publierait tout de même, Messersmith, qui ne l’avait jamais portée dans son cœur, ne prit pas de gants. « Je lui ai dit que si elle publiait mes lettres 2 , à l’aide d’un éditeur irresponsable ou responsable, j’écrirais un petit article au sujet de ce que je savais d’elle et de certains épisodes de sa vie, et que mon article serait beaucoup plus intéressant que tout ce qui se trouverait dans son livre. » Et il ajouta : « La question a été réglée. »
Ces années furent particulièrement riches en événements. La guerre que Dodd avait présagée eut lieu et fut gagnée. En 1945, Martha réalisa enfin le rêve de sa vie : elle publia un roman. Sous le titre Sowing the Wind ( Semer le vent ), manifestement inspiré de la vie d’un de ses anciens amants, Ernst Udet, le livre décrivait la façon dont le nazisme avait réussi à séduire et avilir un as de l’aviation de la Première Guerre mondiale. La même année, son mari et elle adoptèrent un bébé qu’ils baptisèrent Robert.
Martha créa enfin son propre salon 3 , un salon réputé,
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