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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
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deux chiens. Schultz servait généralement des sandwichs, des haricots blancs à la sauce tomate et des saucisses préparées par sa mère, et la bière, le vin et l’alcool coulaient à flots, ce qui avait tendance à pousser même les invités nazis à abandonner la doctrine en faveur de la rigolade et des potins. Au milieu d’une conversation, Martha jeta un coup d’œil à travers la pièce et vit un homme, grand, fringant, au milieu d’un groupe de correspondants. Il n’était pas beau au sens classique du terme, mais très séduisant – la trentaine, des cheveux blond foncé coupés court, des yeux incroyablement lumineux, et des gestes aisés, fluides. Il agitait les mains en parlant, et Martha remarqua qu’il avait des doigts longs et souples. « Il avait une bouche surprenante  1 , surtout la lèvre supérieure, nota une amie de Martha, Agnes Knickerbocker, femme du correspondant H. R. « Knick » Knickerbocker. Je ne puis la décrire autrement qu’en disant qu’elle pouvait passer du sérieux au rire en un quart de seconde. »
    Tandis que Martha l’observait, il se retourna et la regarda. Elle soutint son regard quelques instants, puis détourna les yeux et se plongea dans d’autres conversations. (Dans un récit ultérieur resté inédit  2 , elle décrit dans le détail cette scène et d’autres évoquées plus loin.) Il se détourna aussi – mais quand vint le matin et que la nuit se condensa en ses éléments essentiels, l’instant où leurs regards se croisèrent fut la chose dont tous deux se souvinrent.
    Quelques semaines plus tard, ils se rencontrèrent de nouveau. Knick et sa femme avaient invité Martha et quelques amis à se joindre à eux pour passer une soirée à boire et danser au Ciro, un cabaret populaire où jouaient des musiciens de jazz noirs, un double geste de défi compte tenu de l’obsession des nazis pour la pureté raciale et leur vision du jazz, une musique « négro-judéo-anglo-saxonne »  3  – autrement dit, dans le jargon du Parti, une musique dégénérée.
    Knick présenta Martha à un homme de haute taille qu’elle avait vu à la réception de Sigrid Schultz. Il s’appelait, apprit-elle, Boris Winogradov. Un instant plus tard, Boris apparut devant sa table, souriant et emprunté. «  Gnädiges Fraulein  », dit-il, prononçant la formule habituelle en allemand et signifiant « chère demoiselle ». Il l’invitait à danser.
    Elle remarqua immédiatement la beauté de sa voix, qui se situait, dit-elle, entre le baryton et le ténor. « Mélodieuse », précise-t-elle. Elle en fut émue. « Je fus frappée en plein cœur et, pendant un instant, cela me laissa sans voix et le souffle coupé. » Il lui tendit la main pour l’entraîner loin de la table.
    Elle s’aperçut vite que sa grâce naturelle avait ses limites. Il lui fit faire le tour de la piste : « Il m’écrasait les orteils, bousculait les gens, son bras gauche raide faisant saillie, tournant la tête de tous côtés pour essayer d’éviter d’autres collisions. »
    Il lui avoua : « Je ne sais pas danser. »
    C’était tellement évident qu’elle éclata de rire.
    Boris en fit autant. Elle aimait son sourire et la « douceur qui émanait de lui ».
    Quelques instants plus tard, il lui dit : « Je travaille à l’ambassade soviétique. Haben Sie Angst ? Avez-vous peur ? »
    Elle rit de nouveau : « Bien sûr que non, pourquoi aurais-je peur ? De quoi ?
    – Correct, dit-il. Vous êtes une personne privée et, avec vous, je le suis aussi. »
    Il la serra plus près. Il était svelte, les épaules larges, et avait des yeux qu’elle jugeait superbes, bleu vert pailletés d’or. Ses dents irrégulières rehaussaient en quelque sorte son sourire. Il avait le rire facile.
    « Je vous ai vue plusieurs fois déjà », dit-il. La dernière occasion, lui rappela-t-il, était chez Schultz. «  Errinern Sie sich ? Vous vous en souvenez ? »
    Par esprit de contradiction, Martha ne voulut pas lui faciliter la tâche. Elle garda un ton « qui n’engage à rien » mais concéda le fait. « Oui, dit-elle. Je m’en souviens. »
    Ils dansèrent encore un moment. Quand il la raccompagna à la table des Knickerbocker, il se pencha plus près et demanda : «  Möchte ich Sie wieder sehen. Darf ich Sie anrufen ?  »
    La signification était claire pour Martha malgré son allemand limité… Boris désirait la revoir.
    « Oui,

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