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Dans le nu de la vie

Dans le nu de la vie

Titel: Dans le nu de la vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Hatzfeld
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n’hésitaient pas à nous piquer à l’occasion, mais, d’une certaine façon, on était un peu bardés face à la malaria par notre saleté boueuse. On a duré dans cette existence hagarde. On était oubliés du temps. Il devait continuer de passer pour d’autres, des Hutus, des étrangers, des animaux, mais il ne voulait plus passer pour nous. Le temps nous négligeait parce qu’il ne croyait plus en nous, et nous, par conséquent, on n’espérait rien de lui. Donc, on n’attendait rien.
    Certains jours, quand ils attrapaient une petite compagnie, ils emmenaient une fille, sans la tuer tout de suite, pour la forcer à la maison. C’est comme ça que des filles se sont sauvé la vie quelques nuits supplémentaires, grâce à la beauté. C’est une coutume des hommes de chez nous de ne pas tuer eux-mêmes les filles qu’ils ont pénétrées, parce qu’ils craignent un mauvais sort à mêler les deux genres de sentiments. Mais, par après, d’autres collègues à eux coupaient les filles et jetaient les corps dans les fossés.
    Certains jours, les Hutus travaillaient essentiellement de l’autre côté du marais, donc on pouvait bavarder et même manger un petit morceau de survie. Le lendemain, ils travaillaient très dur de notre côté ; donc on n’osait même plus respirer et les enfants risquaient d’être mangés par la faim.
    Les criminels n’enterraient pas les victimes, car le trop grand nombre les décourageait. Ils préféraient terminer le boulot de tuer, sans rajouter de fatigue à nettoyer les traces. Ces gens-là étaient trop sûrs de se débarrasser de tous les Tutsis, ils en déduisaient que plus personne ne viendrait plus se mêler de leurs affaires au Rwanda.
    Le 30 avril précisément, ils sont descendus par tous les chemins. Ils ont attaqué de tous les côtés, ils formaient une cohue très excitée ; ils avaient un vaste programme pour tuer toute la journée sans s’interrompre à midi. Ce soir-là, il y avait des milliers de cadavres et d’agonisants, au fond des mares, dans toutes les directions ; j’étais trop découragée, j’ai pensé m’oublier allongée dans l’eau du marais mais je n’osais quand même pas attendre la machette. Je ne connais personne qui se soit donné la mort. Je pense qu’on était trop préoccupés à se sauver pour gâcher du temps à des pensées pareilles. Je ne rencontre personne qui se dise honteux d’être rescapé ; seulement quelques personnes, qui se sentent mal à l’aise, si par exemple, un jour, elles n’ont pas fait quelque chose de vital qu’elles pouvaient bien faire.
    À entendre les Blancs, le génocide est soi-disant une folie, mais ce n’est pas si vrai. C’était un travail minutieusement préparé et proprement accompli. À écouter des avoisinants hutus, ils ont soi-disant tué quelques personnes sous la menace d’être tués ; c’est seulement vrai d’un petit nombre. Parce que le cultivateur fainéant, son champ ne va guère verdoyer ; le chauffeur négligent, son camion va tomber en panne ; mais dans les marais, on comptait les dizaines de cadavres sans remarquer aucune fainéantise ou négligence chez nos compatriotes hutus.
    La vérité est que grand nombre de Hutus ne supportaient plus les Tutsis. Pourquoi ? C’est une question durable qui hante toutes les bananeraies. Moi, je vois qu’il y a des différences entre les Tutsis et les Hutus, qui rendent ceux-ci trop soupçonneux. Les Tutsis sont parfois formés de cous plus élancés et de nez plus droits. Ils ont les visages plus minces, en quelque sorte. Ils sont plus sobres de caractère et plus apprêtés. Un Hutu n’aura jamais peur de se présenter, à la porte d’un bureau ou d’un dispensaire, dans sa tenue des champs ; un Tutsi, lui, il changera de vêtements. Mais, quant à la richesse et à l’intelligence, il n’y a aucune différence. Beaucoup de Hutus se méfient d’une soi-disant malice, dans le caractère ou l’esprit tutsi, qui n’existe même pas.
    Les Hutus disaient aussi qu’on possédait trop de vaches ; ce n’était pas vrai. Mes parents n’élevaient pas de vaches. Nos avoisinants n’avaient pas de vaches, et ils étaient plus nombreux et nécessiteux. Les vaches, elles attendent sur le marché celui qui veut les acheter avec de l’argent. La vérité est que les Hutus n’aiment pas la compagnie des vaches. Un Tutsi, quand il croise un élevage de vaches dans un bosquet, il voit une bonne fortune. Un Hutu,

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