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Dans le nu de la vie

Dans le nu de la vie

Titel: Dans le nu de la vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Hatzfeld
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de quelques mois.
    Aucune image, aucun calendrier ou vieille affiche de publicité ne décore les murs comme chez Berthe ou Jeannette. Le sol en terre est méticuleusement nettoyé à l’aide d’un balai de feuilles, de même que la cour.
    Dehors, un superbe récamier en menuiserie rustique et un banc longent le mur. C’est là que l’on bavarde lorsqu’il ne pleut pas. La cour est vaste et bombée. Elle est protégée par une haie d’euphorbes sur laquelle sèchent des tissus, du linge. À l’ombre d’avocatiers, un carré de verdure encadré de massifs de fleurs et surplombé d’arbustes jaunes et odorants accueille les assemblées du soir. Au fond, une claire-voie de branchages sert d’étagère à une batterie de casseroles, tasses, Thermos, dons d’associations humanitaires, ainsi qu’aux seaux qui servent lors de la toilette à se jeter de l’eau à tour de rôle. La cuisine se trouve dans une cabane de terre-tôle, où l’on ne tient qu’assis. Sur un feu de bois cuisent dans une énorme bassine des bananes et des haricots, servis aux deux repas du jour. Demain ce sera manioc et haricots, après-demain maïs et haricots. Chez les Rwandais, un jour sans haricots est un jour qui ne va pas.
    L’enclos de la vache et du veau, à côté de la cuisine, est constitué d’épaisses branches piquées dans le sol. La vache est maigre, parce que les enfants, au retour de l’école, n’ont pas assez de temps pour l’emmener brouter à satiété. Elle fournit peu de lait. À moins de quatre ou cinq vaches, il n’est pas rentable d’embaucher un petit berger. Claudine explique qu’elle ne peut pas non plus prendre le risque de glisser la sienne dans le troupeau d’un éleveur, car, en cas d’escapade dans un champ, elle ne pourrait payer ses dégâts. Le veau n’est pas plus rondouillard que sa mère, mais il est vif. Dans le fumier, deux ou trois poules s’asticotent, leurs poussins ne survivent guère aux chats sauvages. Derrière la cuisine, à la limite de la bananeraie, se trouve l’abri terre-tôle des toilettes.
    Les maisons les plus proches sont celle de Berthe et, trois cents mètres plus bas sur le chemin, celle de Gilbert et Rodrigue, deux frères adolescents qui survécurent côte à côte dans les marais. La source d’eau se trouve à six cents mètres de chez Claudine.
    Au crépuscule, la famille se réunit autour d’une lampe à pétrole bricolée avec une gourde métallique et une mèche d’étoupe. Du matin au soir, la maison est égayée par un inouï concert de chants d’oiseaux, badins ou langoureux. Néanmoins, Claudine rêve d’un poste de radio, à défaut d’une radiocassette, pour agrémenter les longues veillées ténébreuses. Elle rêve aussi d’un vélo qui lui permettrait de monter ses bidons d’eau et ses achats depuis N’tarama, de descendre ses régimes de bananes au marché et surtout de se rendre plus souvent à Nyamata, visiter des gens et prendre de la distraction.
    Ni la sécheresse qui brûle sa bananeraie, ni les soucis de sa nombreuse famille, ni la dureté des travaux « d’homme » n’arrachent chez elle la moindre plainte et n’érodent un humour attachant.



 

Claudine Kayitesi, 21 ans, cultivatrice Colline de Rugarama (Kanzenze)
    C’est un fait que, chez nous, le génocide s’est déroulé du 11 avril à 11 heures jusqu’au 14 mai à 14 heures. J’étais en huitième et dernière année de l’école de Nyirarukobwa lorsqu’il nous a atteints. Il m’a appris deux leçons. La première est qu’il manque un mot en kinyarwanda pour désigner les méfaits des tueurs d’un génocide, un mot dont le sens surpasse la méchanceté, la férocité et cette catégorie de sentiments existants. Je ne sais si vous disposez de ce mot dans le vocabulaire français.
    La deuxième leçon m’est amère, sans toutefois être grave. Elle est que des rescapés, parfois ceux qui ont trop souffert, peuvent se chamailler, eux aussi, pour des bêtises de convoitise par la suite. Même s’ils ont partagé du manioc cru et un terrible destin, s’ils se sont gratté les poux et les vermines dans les cheveux et le dos, unis comme les enfants d’une grande famille, la misère et l’ingratitude peuvent les séparer. Comme si cette trop nécessaire fraternité dans les marais avait asséché pour l’avenir leur possibilité d’entraide et de bienveillance.
     
    *
     
    Avant le fatal mois d’avril, nos cultivateurs étaient préoccupés par la

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