Dans l'ombre de la reine
été impossible, mais pour me montrer alerte et attentive comme il sied à une dame d’honneur soucieuse de plaire à sa maîtresse.
Lorsque j’eus franchi le porche, le porteur et mes bagages avaient disparu. Je n’avais plus qu’à espérer les retrouver en lieu sûr, le moment venu. Le palais était immense.
J’étais accoutumée aux demeures fastueuses. J’avais grandi dans un manoir et, avec Gerald, j’avais vécu dans l’entourage de Sir Thomas Gresham, un financier qui partageait son temps entre Londres et Anvers et menait un train presque princier. Richmond, toutefois, relevait d’un autre ordre. Je m’attendais à déboucher dans une cour, mais je me retrouvai dans un jardin à la française, sur un sentier sablonneux bordé de lavande. Peu de fleurs s’épanouissaient encore ; à l’abri d’un mur, je vis une plate-bande de myosotis et de violettes, et un parterre souligné par le jaune intense et le parme velouté des pensées.
Au prix d’un effort de volonté, je m’intéressai à ce qui m’entourait. Le jardin était borné par de longs bâtiments à un étage : le quartier des gardes. De l’autre côté sur la droite, il devait y avoir un verger, car des branches fleuries apparaissaient au-dessus des toits. Sur la gauche, où coulait la Tamise, le ciel était dégagé et lumineux. On ne pouvait voir le fleuve, mais on entendait les cris des bateliers. Les minces tourelles du palais lui-même étaient encore loin devant moi. Je ne m’étonnais plus d’avoir dû patienter si longtemps avant l’arrivée de mon guide. Au bout de plusieurs minutes, nous passâmes sous un second porche et entrâmes enfin dans la cour, où des chevaux sellés attendaient leurs cavaliers. De faibles notes de musique s’échappaient d’une fenêtre, à l’étage.
Nous tournâmes à gauche et gravîmes une large volée de marches jusqu’à une porte en ferronnerie. À l’intérieur, le palais déployait ses splendeurs au fil d’un labyrinthe déconcertant de couloirs et de galeries. Le soleil entrait à flots par les fenêtres à meneaux. Une fois, j’entrevis au-dehors le fleuve scintillant ; un moment plus tard, j’aperçus un champ clos où résonnaient le cliquetis des armes et le martèlement des sabots. Ayant traversé un jardin, puis monté quelques marches, nous franchîmes une nouvelle porte.
Partout, des gens se promenaient, bavardaient en petits groupes ou se hâtaient de vaquer à leur tâche. Nous empruntâmes une longue galerie au plafond sculpté, où d’imposantes tapisseries illustraient l’histoire romaine. Soudain, nous dûmes nous aplatir contre l’assassinat de Jules César pour céder le passage à une jeune femme vêtue de brocart vert et or sur un vertugadin évasé. Son expression eût fait tourner le vin en vinaigre tandis qu’elle nous croisait, talonnée par une autre qui se confondait en excuses tout en courant à moitié pour la suivre.
Le page se retourna sur leur passage avec un reniflement moqueur. Questionner un domestique n’était pas bienséant, mais lorsque je n’étais pas en proie à l’affliction, j’étais d’un naturel plutôt curieux, qualité que Gerald avait encouragée, d’autant que découvrir des informations relevait de son travail. En outre, plus vite je me familiariserais avec la cour et mieux cela vaudrait. Au mépris de l’étiquette, je demandai donc qui était la jeune femme courroucée.
— Lady Catherine Grey, répondit le page. Je ne connais pas l’autre.
Il n’en dit pas davantage. Mais bien que la maison des Gresham, à Anvers, ne m’eût pas préparée à la cour royale d’Élisabeth, on y évoquait des noms illustres, de même que la situation politique. J’avais entendu parler de Lady Catherine Grey.
Jusqu’à ce que la reine se marie et enfante à son tour, ses héritiers demeuraient ses cousines, descendantes des sœurs de son père. Catherine était du nombre. À Anvers, on l’appelait « l’héritière protestante ». Ainsi, c’était là Catherine Grey ! Je lui trouvai une allure fort peu auguste et je me demandai comment serait la reine.
Le page, se dirigeant comme par magie, me conduisit enfin dans une pièce où des dames étaient assises, à coudre et à causer. Bien que tendue de tapisseries, la pièce était claire grâce à de nombreuses fenêtres, et embaumait le romarin répandu sur le sol. Une odeur caractéristique de tissu – soie, lin et laine fine – provenait des cintres,
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