Dernier acte à Palmyre
qu’il a été pris chez le même marchand, le même jour. (C’était tout de même une possibilité à envisager.) Et puisqu’on est sur le sujet, Grumio, il y a justement quelque chose dont je voulais te parler. Quelqu’un m’a suggéré qu’Heliodorus avait été tué pour une histoire de dettes de jeu.
— Tu as déjà posé la question à Tranio.
Il m’apprenait du même coup que Tranio s’était empressé de lui en parler. Très intéressant.
— Exact. Et ça lui a fait perdre son calme, mentionnai-je en tournant le regard vers lui pour l’observer posément.
Il se tenait le menton d’un air pensif.
— Je me demande bien pourquoi… commenta-t-il avec un soupçon de moquerie dans la voix.
C’était peut-être une simple afféterie de sa part, sauf que la dernière fois que je l’avais entendu adopter ce ton, c’était pour amuser son public à Gerasa, juste avant de me lancer mon poignard. Ce détail était resté gravé dans ma mémoire.
— La raison la plus évidente serait qu’il a quelque chose à cacher, déclarai-je gravement.
Il me répondit sous la forme d’une question que, d’après lui, j’aurais dû me poser moi-même.
— Ça paraît un peu trop évident, non ?
— Sa réaction doit s’expliquer d’une façon ou d’une autre…
— Il avait peut-être peur que tu aies trouvé quelque chose qui l’impliquerait dans cette sombre histoire ?
— Voilà une brillante pensée ! rétorquai-je vivement, comme si j’avais été incapable de l’avoir moi-même.
Nous étions tous les deux conscients de jouer au chat et à la souris. Je poursuivis d’une voix bourrue :
— Bon, si tu me parlais maintenant de tes parties de dés avec Tranio et Heliodorus ?
Nier lui eût été difficile.
— Jouer n’est pas encore considéré comme un crime, si ?
— Et les dettes de jeu non plus.
— De quelles dettes parles-tu ? On s’amusait seulement de temps en temps. On avait vite appris à parier très peu.
— Il était bon ?
— Ça oui.
Il ne paraissait pas s’être aperçu qu’Heliodorus trichait. Je m’étais souvent demandé comment les tricheurs professionnels parvenaient à s’en sortir… Discuter avec Grumio m’aidait à comprendre.
Peut-être Tranio, tout en ayant compris que les dés d’Heliodorus étaient truqués, s’était-il bien gardé de mettre son acolyte au courant ? Difficile de savoir les liens exacts entre ces deux oiseaux. Se pourrait-il qu’ils fussent devenus des rivaux jaloux ?
— Alors c’est quoi, ce grand secret ? Car il est facile de comprendre qu’il y en a un ! m’exclamai-je avec la parfaite assurance que se doit toujours d’afficher un détective privé professionnel, même quand il patauge complètement.
— C’est pas grand et pas davantage secret.
Ça n’allait pas l’être longtemps, en tout cas. Grumio s’apprêtait à trahir son compagnon de tente sans état d’âme apparent.
— Ce qu’il n’a probablement pas eu envie de te dire, c’est qu’un jour où on s’était disputés et que j’étais parti de mon côté, il a joué seul avec Heliodorus…
— Tu étais parti de ton côté avec une fille ? l’interrompis-je.
— Bien sûr. (Après ma conversation avec Plancina, je n’en croyais pas un mot.) Mais c’est pas ça l’important. Tranio a eu besoin d’un gage, et il s’est servi d’un objet qui m’appartenait.
— Un objet de valeur, je suppose ?
— Pas du tout. Néanmoins, comme j’étais furieux de son sans-gêne, j’ai exigé qu’il le récupère. Mais tu connaissais Heliodorus…
— Non.
— Oui, mais maintenant, c’est presque comme si tu l’avais connu. Sa réaction a été tout à fait typique. Du moment qu’il avait en sa possession un objet auquel quelqu’un d’autre tenait, il était hors de question qu’il le rende. En vérité, je m’en moquais, mais pour taquiner Tranio à cause de son manque de délicatesse, j’ai prétendu le contraire. Et il a pris cette histoire très à cœur. Il a tout essayé pour convaincre Heliodorus de lui rendre l’objet tandis que je riais sous cape.
— S’il est aussi sensible que tu le dis, et si c’est ton ami, il serait peut-être temps que tu le détrompes. Mais c’était quoi, cet objet ?
— Vraiment rien d’important.
— Heliodorus devait pourtant croire le contraire. Et Tranio aussi.
— Une seule chose intéressait Heliodorus : torturer ses semblables. Il avait perdu tout contact avec la réalité, m’assura
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