Dernier acte à Palmyre
soupeser des yeux les bijoux d’Helena – elle avait dû s’en procurer certains auprès de caravaniers ou sur les marchés des villes de la Décapole quand j’avais le dos tourné. Ils avaient vu l’officier commandant la garnison la traiter avec beaucoup de déférence – Vespasien lui-même cherchant à savoir ce qu’elle était devenue.
Khaled se fit alors implorant, et son père se mit à saliver en pensant à cet heureux coup du sort. Sophrona elle-même, comme la plupart des filles, pensait qu’elle pouvait facilement se donner l’apparence d’être mieux née qu’elle ne l’était.
Quant à la mère de Khaled, elle suggéra que si la jeune fille devait quitter la Syrie, il serait peut-être préférable de marier le jeune couple auparavant. Helena avait alors suggéré que Khaled vienne passer quelque temps à Rome pour s’y frotter aux patriciens…
— Comme c’est touchant, murmura Thalia sans aucune ironie.
Je pensais être le seul à ne pas perdre de vue qu’une fois à Rome, Thalia n’aurait rien de plus pressé que de persuader Sophrona que son intérêt n’était pas de se mettre en ménage, mais de s’occuper de la brillante carrière d’organiste qui s’offrait à elle.
Notre discussion fut interrompue par un grand vacarme en provenance des gradins. Furieux de n’avoir pu assister qu’à une moitié de spectacle, de nombreux soldats en colère s’étaient mis en devoir d’arracher les bancs.
— Par Jupiter ! Il faut les en empêcher. Comment pouvons-nous les distraire ?
— C’est facile ! assura Thalia en prenant la jeune fille par le bras. Puisque tout s’arrange au mieux pour toi, Sophrona, tu peux faire quelque chose en retour. J’ai pas traîné cet engin depuis Rome uniquement pour que des moustiques puissent se reproduire dans le réservoir d’eau…
Elle interpella ses hommes. Avec une rapidité qui nous étonna, ils entourèrent le double chariot. Appelant les machinistes de Chremes pour leur donner un coup de main, ils le firent rouler jusqu’à la porte, comptèrent jusqu’à trois et le poussèrent au milieu de l’arène. Les militaires s’apaisèrent immédiatement et se rassirent sur ce qui restait de leurs sièges.
Une fois les couvertures retirées, l’orgue apparut dans toute sa splendeur. Posé sur le sol, il mesurait environ douze pieds de haut. La partie supérieure consistait en un incroyable enchevêtrement de tuyaux, certains en bronze, d’autres en roseau. La partie inférieure comportait une espèce de commode ornementale à laquelle étaient attachés des soufflets. Un des hommes de Thalia entreprit de verser délicatement de l’eau dans un réservoir. D’autres étaient déjà en train d’installer un pédalier, un grand levier et un clavier.
Je vis les yeux de Sophrona s’agrandir. Pendant un petit moment, elle parvint à cacher l’envie de jouer qui venait de s’emparer d’elle et fit quelques manières. Helena et moi nous joignîmes aux autres pour la supplier de nous prouver son talent. Il n’en fallut pas plus pour qu’elle bondisse dans l’arène où elle distribua des ordres à ceux qui étaient en train de préparer son instrument.
Il était évident pour tous ceux qui la regardaient que jouer de l’orgue lui tenait particulièrement à cœur. Je me dis in petto qu’il faudrait que je présente Sophrona à Ribes. Notre joueur de lyre à l’humeur changeante me paraissait être un jeune homme à qui des relations avec une fille possédant de beaux yeux et pouvant parler musique feraient le plus grand bien…
Thalia sourit à Davos de toutes ses dents.
— Tu vas m’aider à activer ses soufflets ?
Elle était capable de donner un double sens à la phrase la plus anodine. Davos accepta ce travail pénible, malgré la lueur qui pétillait dans l’œil de la charmeuse de serpents et qui lui promettait un travail encore plus pénible un peu plus tard. Mais j’étais persuadé que cet homme qui savait rester ferme sur ses positions se montrerait à la hauteur.
Au moment où ils partaient rejoindre Sophrona, Phrygia rappela Thalia. Sa haute silhouette dégingandée oscillait sur des chaussures à semelles compensées. Elle désignait de la main Sophrona, aussi grande qu’elle.
— Cette fille… dit-elle d’une voix étranglée.
— Sophrona ? C’est une enfant abandonnée dont j’ai hérité avec le cirque de Fronto.
— J’espérais que ma fille était ici.
— Elle est ici. Mais peut-être
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