Dernier acte à Palmyre
qu’après vingt ans, elle n’a pas envie qu’on la retrouve.
— Je ferai amende honorable. Je lui offrirai tout ce qu’elle voudra.
Phrygia jeta un regard éperdu autour d’elle. La seule autre fille dans notre petit groupe était Byrria. Elle questionna la jeune actrice d’une voix presque hystérique :
— Qui t’a amenée en Italie ? Où as-tu été élevée ?
— Dans le Latium.
Byrria faisait montre d’un peu de curiosité, mais gardait son calme.
— Qui sont tes parents ?
— Je suis orpheline.
— Tu connais Thalia ?
Je vis Thalia faire un clin d’œil à Byrria.
— Évidemment qu’elle me connaît. Mais j’ai jamais dit à ta fille que sa mère était une actrice célèbre. Je voulais pas qu’elle se fasse de grandes idées pour rien.
Phrygia éclata en sanglots et prit Byrria dans ses bras. Thalia me jeta un regard calculateur et surpris. Elle s’étonnait de ce qu’on pouvait faire gober aux gens, quand leurs yeux auraient dû leur crier le contraire. Puis prenant le bras de Davos, elle se sauva dans l’arène.
— Tu vas voir, à partir de maintenant, tout va être merveilleux ! s’égosilla-t-elle.
Byrria lui adressa la grimace habituelle de la fille ingrate qui a l’intention de diriger sa vie comme elle l’entend.
Mon regard croisa celui d’Helena. Nous étions conscients que la jeune comédienne comprenait la chance étonnante qui s’offrait à elle et qu’elle pesait le pour et le contre. Plantée près de son orgue qu’elle couvait des yeux, Sophrona n’avait aucune idée qu’on était en train d’usurper la place qui lui revenait de droit. Heureusement, elle avait plusieurs autres options devant elle. Quant à Byrria, sa détermination à se faire une place au soleil n’avait jamais été mise en doute. Et comme elle souhaitait avant tout être reconnue comme actrice, si elle ne détrompait pas Phrygia, elle pourrait obtenir de beaux rôles. Je voyais même plus loin : je l’imaginais sans peine prendre la direction de la compagnie à plus ou moins brève échéance. Ce serait d’ailleurs un travail parfait pour elle : les solitaires sont souvent de bons organisateurs.
Ce que Chremes nous avait raconté sur la mort du théâtre, je n’y croyais pas beaucoup. Il y avait toujours de la place pour les artistes – dans les provinces romaines, mais aussi en Italie, pour ceux qui sauraient s’adapter aux goûts du public. Byrria était certainement consciente qu’on venait de lui offrir la chance de sa vie.
Chremes, qui paraissait avoir besoin d’un peu plus de temps que sa femme pour s’adapter à la situation, adressa à la jeune comédienne un sourire embarrassé, puis guida Phrygia vers les autres membres de la troupe rassemblés devant la porte donnant accès à l’arène. Ils étaient tous impatients de juger de la maîtrise de Sophrona au clavier de ce fabuleux instrument. Byrria, Helena, Musa et moi les rejoignîmes à pas comptés. Tout en marchant, je me disais que la situation de Chremes n’était pas si mauvaise – s’il conservait un profil bas, il allait garder sa femme, lancer une jeune actrice prometteuse, et probablement avoir la paix chez lui.
Davos s’activait en compagnie de Thalia. Il était clair pour moi qu’il n’allait pas tarder à quitter la troupe. S’il décidait de s’associer avec la charmeuse de serpents, Sophrona, qui venait sans le savoir de perdre une mère, allait gagner un père.
— Je ne suis pas un grand amateur de musique trop sonore, avouai-je à mon entourage immédiat. Mais je ne voudrais surtout pas gâcher votre plaisir. Je vous prie de m’excuser.
Ils décidèrent de rentrer au camp avec moi. Nous fîmes donc demi-tour. Helena et moi marchions étroitement enlacés. Selon leur habitude, Byrria et Musa avançaient le dos raide et l’air sérieux, en silence, sans même se donner la main.
Je me demandais sincèrement ce que la relation de ces deux-là deviendrait. J’avais envie qu’ils trouvent un coin tranquille pour coucher ensemble, car c’est ce que j’aurais fait moi-même. Mais c’était bien peu probable. Helena partageait ma mélancolie en ce qui concernait les deux jeunes gens.
Musa allait rentrer à Pétra. Byrria se ferait très certainement un nom sur les scènes romaines. Ils resteraient peut-être amis. Ils s’écriraient. Sans doute devrais-je les y encourager au nom des relations entre le royaume de Nabatène et l’Empire… Les contacts culturels et les amitiés
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