Dernier acte à Palmyre
continuait de m’observer. Même plus léthargique qu’à l’accoutumée, quelque chose dans son attitude méprisante me rappelait les membres de ma famille. Il possédait de larges écailles magnifiquement disposées en losanges.
— Alors, Falco ? Qu’est-ce que tu viens foutre ici ? Tu as décidé d’accepter mon offre ?
Je tentai d’adopter un air innocent.
— J’avais promis de venir applaudir ton numéro, Thalia.
Je me faisais l’effet d’un avocat débutant déclamant sa première plaidoirie à la Basilique. Aucun doute là-dessus, j’avais déjà perdu ma cause avant que l’huissier ait eu le temps de faire démarrer l’horloge à eau.
Thalia cligna de l’œil en direction d’Helena.
— Il m’avait dit qu’il allait quitter la maison pour venir ici apprivoiser des tigres.
— Oui, mais voilà, apprivoiser Helena Justina prend tout mon temps, parvins-je à glisser.
— À moi, enchaîna ma princesse, il a raconté qu’il était un gros magnat possédant des plantations d’oliviers dans le Samnium, et que si j’étais gentille avec lui, il me montrerait les Sept Merveilles du Monde.
— Ah ! il nous arrive à toutes de faire des conneries, s’apitoya Thalia dans son style fleuri.
Helena Justina croisa les chevilles en donnant un rapide coup de pied au passage dans l’ourlet brodé de sa jupe. Elle avait des chevilles dévastatrices. Elle-même pouvait être une fille dévastatrice.
Thalia l’observa attentivement de la tête aux pieds. De nos rencontres précédentes, elle avait déduit que j’étais un détective privé de seconde catégorie, occupé à de sordides besognes pour un salaire de misère et le mépris du public. Elle ne pouvait qu’être surprise de me voir en compagnie d’une jeune femme aussi distinguée qu’Helena. Helena, qui se donnait l’air d’une personne en pleine possession d’elle-même, calme et sérieuse, et pourtant capable de maîtriser une cohorte de prétoriens ivres avec deux ou trois paroles bien senties. Elle portait un magnifique bracelet de filigrane d’or de grand prix, qui pouvait à lui seul en apprendre beaucoup à la charmeuse de serpents. Même en compagnie d’une graine de melon desséchée comme moi, ma copine n’en était pas moins visiblement une patricienne qui avait du répondant.
Après avoir rapidement estimé ses bijoux, Thalia se retourna vers moi.
— On dirait que la chance a tourné pour toi !
C’était la pure vérité. J’acceptai le compliment avec un sourire ravi.
D’un geste élégant, Helena Justina arrangea les plis de son étole de soie. Elle savait que je ne la méritais pas et que j’en étais conscient.
Thalia dégagea gentiment le python de son cou et l’enroula autour d’une borne pour s’asseoir avec nous et discuter plus tranquillement. La créature, qui avait toujours aimé s’en prendre à moi, tendit immédiatement sa tête pointue dans ma direction pour me dévisager du regard menaçant de ses yeux réduits à deux fentes. Je résistai à la tentation de remonter mes bottes. Je refusais de donner l’impression de me laisser effrayer par un agresseur sans pattes. En outre, un mouvement soudain devant un serpent peut s’avérer fatal.
— Je crois que Jason en pince pour toi ! ricana Thalia.
— Oh ! il s’appelle Jason ?
S’il s’approchait encore d’un doigt, je projetais de faire tâter à Jason de mon poignard. Je m’étais retenu jusqu’alors uniquement parce que je savais combien Thalia tenait à lui. Me voir transformer Jason en ceinture la contrarierait à coup sûr. Et penser à la punition que Thalia pourrait infliger à quelqu’un d’assez déraisonnable pour la contrarier était encore plus effrayant que son animal préféré.
— Il a l’air un peu malade en ce moment, expliqua-t-elle à Helena. Tu as remarqué ses yeux laiteux ? Il va encore changer de peau. Jason est en pleine croissance. Il doit changer de défroque tous les deux mois. Et à chaque fois, il fait la gueule pendant une semaine. Voilà pourquoi je peux pas encore prévoir un numéro avec lui. Impossible de savoir s’il sera en forme au moment de la représentation. C’est pire que de préparer un spectacle avec une troupe d’adolescentes qui vont rester couchées en gémissant une fois par mois.
Helena ouvrait déjà la bouche pour faire un commentaire, mais j’interrompis ces bavardages de femmes.
— Dis-moi plutôt comment vont les affaires, Thalia. Le portier m’a appris que
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