Dernier acte à Palmyre
portiques sombres, à essayer de surprendre des scandales qui leur vaudront peut-être un denier graisseux de la part d’un triste amateur. C’est un travail assommant. Difficile de ne pas prendre de mauvaises habitudes. Certains détectives privés plongent dans le vice. Moi, je m’en étais sorti. Mon principal défaut était de trop penser.
L’éléphanteau venait d’ingurgiter un pain au sésame mais n’en restait pas moins mélancolique. Tout comme moi. Le travail qu’on venait de m’offrir m’occupait l’esprit. Je cherchais des excuses pour le refuser.
Il m’arrivait de travailler pour Vespasien. Un nouvel empereur issu de la classe moyenne, et qui souhaite garder à l’œil les ambitieux de l’ancienne élite, a parfois besoin de petits services – du genre dont il ne tiendra pas à se vanter quand ses glorieuses actions seront inscrites en lettres de bronze sur des monuments de marbre. Rome était pleine de conspirateurs souhaitant jeter Vespasien à bas de son trône, mais qui ne prenaient pas trop de risques. César souhaitait également se débarrasser d’autres pénibles sujétions : des hommes maussades occupant des postes importants qu’ils ne devaient qu’à leurs pedigrees anciens ; d’autres ne possédant ni intelligence, ni énergie, ni morale, et que le nouvel empereur avait l’intention de remplacer par des hommes plus doués et méritants. Quelqu’un devait démasquer les comploteurs et discréditer les imbéciles. J’étais rapide et discret, et Vespasien me faisait confiance pour couvrir mes traces. Il n’y avait jamais eu la moindre répercussion pour lui après chacune de mes missions.
Notre collaboration avait commencé dix-huit mois auparavant. Depuis, quand j’avais plus de créditeurs que d’habitude, ou quand j’avais fini par oublier combien je détestais travailler pour lui, j’acceptais une mission impériale. Tout en me méprisant de devenir un outil aux mains de l’État, je n’en avais pas moins gagné de l’argent. Et j’étais toujours à la recherche d’argent.
Grâce à mes efforts, Rome et certaines des provinces étaient devenues plus sûres. Mais pas plus tard que la semaine précédente, la famille impériale n’avait pas tenu une promesse importante qu’ils m’avaient faite. Au lieu de m’aider à gravir un échelon de l’échelle sociale, afin de me permettre d’épouser Helena Justina pour apaiser les affres de sa famille, les Césars m’avaient expédié au bas des marches du Palatin les mains vides 1 . En l’apprenant, Helena avait déclaré qu’il n’était plus question que je travaille pour Vespasien. Lui-même ne parut pas réaliser que je pourrais être humilié par une telle peccadille. Trois jours plus tard, il m’offrait un de ses voyages diplomatiques à l’étranger. Quand elle l’apprendrait, ma princesse serait furieuse.
Heureusement, quand j’avais reçu la convocation du palais, j’avais déjà quitté notre appartement et je me trouvais dans l’escalier. Mon intention était alors de me rendre chez le barbier du rez-de-chaussée pour y apprendre les derniers potins. Le message me fut délivré par un esclave malingre doté de sourcils touffus qui se rejoignaient, avec presque pas de cerveau au-dessus. Un commissionnaire du palais tout à fait typique. Je l’attrapai par le dos de sa courte tunique et l’entraînai jusque dans la blanchisserie de Lenia, tout en bas. Après, avoir donné quelques pièces à cette dernière pour qu’elle se montre discrète, je dis à l’esclave de me fiche la paix, de ne pas venir semer la zizanie dans mon foyer, et de retourner d’où il venait.
— Va te faire foutre, Falco ! Je vais où on me dit d’aller.
— Et qui t’a envoyé ?
Il parut soudain nerveux. À juste titre.
— Anacrites.
Je ne pus retenir un grondement venu du fond de ma gorge. C’était bien pire que d’être convoqué par Vespasien ou ses fils.
Anacrites était le chef espion officiel du palais. Lui et moi étions de vieux ennemis – une rivalité vraiment féroce et purement professionnelle. Il se considérait comme le plus grand expert, quand il s’agissait de traiter avec des personnages roublards établis dans des territoires dangereux, mais en vérité, il en était venu à mener une vie trop confortable et avait perdu le coup de main. En outre, Vespasien n’alimentait pas suffisamment ses caisses, ce qui l’obligeait à s’entourer de personnages pathétiques. Il n’était
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