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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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l’ordre du jour.
    Le prévôt du guet et de la
maréchaussée Henri de Foulques se fit alarmant. La population de Bellerocaille
avait pratiquement doublé depuis l’annonce de la condamnation et cet inhabituel
afflux de visiteurs avait drainé tout ce que la province comptait de bricons,
de coupe-jarrets, de tire-laine, de vide-gousset et autres nuisibles.
    — Mes hommes sont débordés,
Monsieur le Baron, aussi je me permets de vous demander très respectueusement
de m’accorder le renfort de votre milice.
    La garde prétorienne du baron se
répartissait en trois centuries de cinquante hommes (survivance de l’ancienne
division entre coureurs, fourrageurs, boutefeux). Une seule, permanente, assurait
la protection du château : les deux autres se composaient de volontaires
mobilisables au son du tocsin et qui avaient pour obligation de s’entraîner
militairement une fois par mois. En échange, le baron les exemptait de péage
aux ponts et de droit de moulin.
    L’arrivée d’un huissier annonçant
que le maître geôlier Bertrand Beaulouis sollicitait une entrevue fit
diversion.
    Le Verrou humain entra, se décoiffa
et fit une révérence vers le baron en disant :
    — L’un de mes prisonniers est
volontaire.
    Remue-ménage dans la grande salle.
Tout le monde parla en même temps.
    — Qui est cet homme ?
    — Il s’appelle Justinien
Pibrac, Monsieur le Baron, et c’est un bricon que votre justice a condamné à
vingt ans de galère. Il doit partir avec la chaîne de la Saint-Michel.
    — Fort bien, fort bien. Allez
nous le quérir, Maître Beaulouis.
    Le geôlier approuva mais ne bougea
pas.
    — C’est-à-dire qu’il est
volontaire, mais à une condition… Oh, une condition tout à fait légitime,
Monsieur le Baron, s’empressa-t-il d’ajouter en croisant l’éclat mauvais dans
le regard de son seigneur. Il voudrait être gracié.
    Les traits du baron se détendirent.
Il s’attendait à pis. Interrogé du regard, le juge Cressayet opina
favorablement du bonnet. Oui, la loi autorisait ce genre de transaction. Cressayet
se souvenait même que la cour de Bordeaux avait rendu un arrêt en ce sens six
ou sept ans plus tôt.
    — Vous auriez peut-être pu y
penser plus tôt ! grogna le baron quelque peu vexé de ne pas y avoir songé
lui-même. Allez nous chercher ce bricon !
    — A vos ordres, Monsieur le
Baron, dit Maître Beaulouis d’une voix enjouée.
     
    *
     
    La criminalité étant perçue comme
une sorte de lèpre rongeant le royaume, les juges ne connaissaient qu’une seule
prophylaxie – l’ablation des parties infectées par une condamnation à mort ou
aux galères. La prison n’était pas un châtiment en soi mais un simple lieu de
détention provisoire où les prévenus attendaient leur procès, puis l’exécution
de la sentence.
    Comme l’avait été son père, son
grand-père, son arrière-grand-père et le père de celui-ci, Bertrand Beaulouis
était propriétaire de sa charge de geôlier et administrait sa prison comme une
auberge, chaque détenu étant équitablement traité selon le poids de sa bourse.
Ceux qui l’avaient pleine logeaient dans les confortables cellules de la tour
flanquante. On leur servait les cinq repas quotidiens et ils pouvaient disposer
à volonté de vin, de petun et même de garces. Ceux qui avaient la bourse plate,
à l’exception du sol du Roi que la prévôté était tenue de leur octroyer afin
qu’ils ne meurent pas de faim, ceux-là croupissaient dans la pénombre du
méchant cul-de-basse-fosse creusé sous la tour.
    Quand il manquait de
« pensionnaires », Maître Beaulouis était autorisé à remplir ses
cellules d’hôtes payants que ses enfants racolaient à l’arrivée de la chaise de
poste, place Saint-Laurent.
    Trois mois plus tôt, le deuxième
dimanche d’avril, le guet lui avait livré un trio de saltimbanques accusés
d’être les auteurs de nombreux larcins. L’un d’eux, un jeune drôle d’une
vingtaine d’années, était affublé d’un nez de bois maintenu en position par des
ficelles nouées sur la nuque. Beaulouis le lui avait aussitôt ôté, dévoilant un
trou béant aux bords déchirés irrégulièrement mais cicatrisés depuis longtemps,
ce qui rassura le geôlier qui avait craint la lèpre.
    — Qui t’a fait ça ?
    — Je ne sais pas, c’est arrivé
quand j’étais tout petit.
    Ce n’était certes pas l’œuvre d’un
bourreau ou d’un tourmenteur. Jamais un professionnel n’aurait

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