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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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grouillait de vermine.
    D’autres bruits de chaînes lui
rappelèrent qu’il n’était pas seul. Le plus proche de ses compagnons
d’infortune enchaîné à une toise et demie, Eustache le bouvier, dont on avait
tué le chien, fixait sans bienveillance son nez de bois.
    — Tu crois que c’est un
lépreux ? s’inquiéta son voisin, Apronien, le bousilleur-bambocheur.
    — Non, je ne suis pas lépreux,
c’est un accident, voilà tout.
    — Montre ! exigea
Eustache.
    Avec un long soupir résigné,
Justinien dénoua pour la énième fois les ficelles de son faux nez, gêné dans ses
gestes par les fers.
    Rassurés, ses voisins se firent plus
aimables.
    — T’as fait quoi pour être
ici ?
    — Justement, je n’ai rien fait.
C’est à moi qu’on a « fait » ! Ce sont ces maudits
saltimbanques. Ils ont profité de mon sommeil pour me dépouiller. C’est arrivé
à Racleterre et je les ai poursuivis jusqu’ici. Je venais de les retrouver
quand le guet est arrivé et nous a tous emmenés. Mais personne ne veut me
croire.
    Il remua sur sa paille pourrie. Ses
chaînes cliquetèrent. Pourquoi s’était-il précipité ainsi alors qu’il était si
simple (et plus prudent) d’attendre la nuit pour se glisser dans leur
campement, les assommer durant leur sommeil et récupérer son bien en toute
quiétude ? Peut-être même Mouchette l’aurait-elle suivi ? Il revit sa
grimace et serra les dents. Soudain il cria : un rat venait de lui mordre
un orteil. Furieux, il tenta de lui briser l’échine d’un coup de poing mais ses
fers le gênèrent à nouveau. L’animal détala, s’immobilisant à quatre pieds
comme s’il savait que ses chaînes n’en mesuraient que trois et demi.
    Justinien délaça l’une de ses
sandales et la lui jeta en le ratant. Maintenant, celle-ci était hors de portée
et il lui faudrait attendre la descente d’un guichetier pour la récupérer.
    Le rongeur s’approcha du projectile
et commença à grignoter le cuir en poussant des petits couinements satisfaits.
Il fut bientôt rejoint par ce qui devait être sa famille, qui l’aida à
déchiqueter la sandale et à emporter les morceaux dans les nombreux trous du
cachot.
    Justinien ne put que méditer
amèrement sur les conséquences, toujours néfastes, de son impulsivité.
    — Je devrais réfléchir avant et pas toujours après.
    Mais chaque fois l’émotion effaçait
ses résolutions. Il en déduisit que pour réfléchir, il devait d’abord être
calme, ce qui déplaçait le problème : comment se calmer quand on ne l’est
pas ?
    C’est alors que les premiers
moustiques attaquèrent.
     
    *
     
    Le procès eut lieu dès le lendemain
matin. Arrêtés par le guet, ils dépendaient de la justice seigneuriale et
furent jugés par Cressayet. Comme plusieurs témoins dignes de foi reconnurent
formellement Baldo et Vitou (se montrant moins catégoriques pour Justinien), le
juge ne crut pas nécessaire d’instruire une enquête et les condamna à
« être menés et conduits ès galères du Roi pour en icelles être détenus et
servir ledit Roi dix années durant ».
    Seul le bricon au nez de bois avait
protesté, une main sur le cœur, l’œil pathétique. Ses protestations n’eurent
d’autre effet que celui d’écorcher les oreilles du juge qui haïssait les
voleurs et les aurait volontiers tous fait pendre haut et court si Monsieur
Colbert ne s’était mis en tête de réorganiser la marine et n’avait récemment
expédié à tous les juges de France une pressante instruction royale :
     
    Sa Majesté désirant rétablir le corps de ses galères
et en fortifier la chiourme par toutes sortes de moyens son intention est que
vous condamniez le plus grand nombre de coupables qu’il se pourra et que vous
convertissiez même la peine de mort en celle des galères.
     
    — Je ne peux pas être leur
complice, Monsieur le Juge, puisque nous nous battions quand le guet est
arrivé. Vous pouvez le demander au sergent qui nous a séparés.
    Irrité par son outrecuidante
insistance, le juge Cressayet réduisit Justinien au silence en doublant sa
condamnation, menaçant de la tripler. Vitou ricana et Baldo lui adressa un clin
d’œil ironique.
    — Si un jour ta galère est
coulée, tu pourras toujours flotter grâce à ton nez.
    Trop sonné pour réagir, Justinien
baissa la tête, le cœur gros, des larmes au bord des yeux. Vingt ans de
galère ! C’était pour en arriver là qu’il avait rêvé depuis tout jeune

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