Don Juan
et vous me regardez sans rien dire. Parlez donc, mort-Dieu ! Que ferez-vous ?…
Turquand continuait à fixer Amauri de Loraydan comme s’il eût essayé de lire dans son âme.
– Notez, dit-il, que la question posée par vous à moi, ce serait à moi de vous la faire. Comte, un homme veut, ce soir, enlever votre fiancée pour en faire sa maîtresse. Que ferez-vous ?
Et le regard de Turquand se fit plus aigu, son visage se fit plus sombre.
Loraydan détourna la tête pour échapper à l’implacable interrogation. Il essuya machinalement son front et, en même temps qu’il croyait ainsi apaiser une impression de brûlure, il se sentait grelotter de froid. Le démon de la jalousie faisait rage dans cette cervelle, non dans son cœur. Il finit par murmurer :
– C’est le roi ! De par toutes les damnations, c’est le roi ! Mais, aussi vrai que mon nom est Loraydan, s’il persiste jusqu’au bout dans son projet, je le tue et me tue après !
C’est peut-être la parole la plus honorable que le comte de Loraydan ait prononcée dans sa vie.
Turquand tressaillit. Un peu de rouge apparut à ses joues. Il eut comme un sourire et saisit les deux mains d’Amauri :
– Vous feriez cela ?…
– Oui. Je le ferais.
Loraydan prononça ces mots avec une sorte de simplicité tragique, et en même temps il se sentait défaillir de terreur à la seule pensée que quelqu’un avait pu l’entendre proférer un aussi formidable blasphème : tuer le roi ! Toucher à cet être plus près de Dieu que des hommes ! Concevoir le plus effroyable des crimes : le régicide !… Lui !… Un Loraydan !…
– Mon fils ! murmura Turquand.
Le comte repoussa rudement l’orfèvre… l’usurier. Hors de lui, furieusement, il bégaya :
– Pourquoi m’appelez-vous ainsi ? Pourquoi me regardez-vous avec cette fixité qui m’exaspère ?
– Je vous regardais, dit froidement Turquand, pour tâcher de savoir l’homme que vous êtes, et si je pouvais avoir confiance en vous. Eh bien, maintenant j’ai confiance.
– Confiance ?… Pourquoi confiance ?…
– Mon fils, dit Turquand avec sa sinistre douceur, autrefois, j’ai aimé, et j’ai été aimé… Celle que j’aimais, ajouta-t-il dans un soupir, c’était ma femme. Et ma femme, comte, c’était celle qui m’aimait. Vous entendez bien ? Nous nous aimions, nous étions l’un pour l’autre tout le bonheur, toute la vie. Un seigneur de haut parage entra dans mon existence, et l’édifice de ce double bonheur s’écroula dans la honte et la mort. Il plut à ce noble sire d’enlever nuitamment et par violence la femme qui était mienne et qui m’aimait : elle se tua…
Loraydan eut un geste. Turquand reprit :
– Tout cela parce que je n’avais pris aucune précaution contre les chacals et loups-cerviers qui rôdent de par le monde…
– Et lui ! Lui ! Qu’est-il devenu ? demanda Loraydan profondément remué par cette sorte de confession imprévue.
– Lui ? Le loup-cervier, voulez-vous dire ? Eh bien, il est mort ! fit Turquand avec un singulier sourire. Il a eu la mort que je pouvais lui souhaiter… celle que je lui ai préparée. N’en parlons plus. Mais ces précautions que je n’avais pas prises pour défendre ma femme, instruit par l’expérience, je les ai établies pour sauver ma fille, au cas où quelque chacal encore… et maintenant, comte, maintenant que j’ai confiance en vous, je puis vous montrer ce que j’ai fait contre les chacals et les loups-cerviers. Voulez-vous voir ?
– Oui ! dit Loraydan avec une sorte de rudesse.
– Eh bien, venez !
Loraydan suivit l’orfèvre qui descendit au rez-de-chaussée et s’arrêta devant le vestibule, devant la porte d’entrée. Autour de cette porte, sur l’étoffe qui couvrait le mur, courait une arabesque de métal bruni. Turquand appuya fortement sur l’un des motifs de cette ornementation d’un curieux travail. Aussitôt Loraydan entendit comme un déclic, l’entrefend s’ouvrit et livra passage à une porte de fer de deux pouces d’épaisseur qui, glissant parallèlement à la porte de bois sans faire le moindre bruit, vint obstruer l’entrée d’un infranchissable obstacle.
– On ne peut plus passer, dit Turquand.
Amauri hocha silencieusement la tête en signe d’admiration.
– C’est moi qui ai fait ce travail, dit Turquand avec une simplicité menaçante.
– Mais les fenêtres ? dit Loraydan.
– J’ai établi la
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