Don Juan
bois, deux légers bahuts semblables à des dentelles d’une charmante finesse, deux fauteuils, voilà quels étaient les ornements de cette chambre de jeune bourgeoise, que plus d’une princesse eût admirée et enviée. Seule, dans un angle, une sorte d’armoire assez semblable à nos modernes coffres-forts déparait cet ensemble d’où se dégageait une impression d’opulence poétique et d’incomparable fraîcheur.
Cette armoire, Turquand l’ouvrit d’un simple geste qui échappa au comte.
Et Loraydan, s’étant approché, vit qu’il y avait là l’entrée d’un étroit escalier de pierre qui semblait ménagé dans l’épaisseur même de la muraille.
Turquand ayant repoussé la porte de l’armoire, continua :
– Alors… c’est-à-dire, une fois la porte de fer brisée, une fois mes serviteurs massacrés, une fois moi-même tué dans le couloir, si on entrait dans cette chambre, on la trouverait vide comme nous venons de la trouver… Bérengère aurait fui par là, refermant cette armoire, comme nous l’avons trouvée fermée… Pour ouvrir cette armoire elle-même, il faudrait d’abord ensuite reconnaître le secret qui permet de l’ouvrir soit du dedans, soit du dehors… c’est-à-dire qu’il faudrait passer encore au moins trois ou quatre heures à briser cette armoire qui vous paraît être de chêne et qui est en réalité de fer épais, recouvert d’une mince feuille de bois… car le secret, nul ne le connaît que moi et Bérengère… je veux dire moi, Bérengère et vous !… Voyez…
Turquand appuya du doigt, légèrement, sur une tête de clou, et la porte se rouvrit.
– Il fallait, dit-il en souriant, il fallait pour le doigt de Bérengère, un mécanisme sensible à la moindre pression… c’est celui qui m’a demandé le plus de travail. Entrez, monsieur le comte.
Loraydan, la poitrine oppressée, la tête en feu, la pensée en désordre, obéit sans dire un mot. Turquand le suivit et tira à lui la porte de l’armoire.
Le comte vit alors qu’ils se trouvaient dans une sorte d’étroite cage de fer éclairée par une veilleuse qui brûlait aux pieds d’une statue de la Vierge.
L’escalier que nous avons signalé et qui s’enfonçait en tournant pareil à quelque vis géante, commençait là.
– Voyez, continua Turquand. Supposons Bérengère entrée ici. Elle pousse tout simplement ce minuscule verrou comme ceci, de gauche à droite : dès lors, on peut appuyer, frapper sur la tête de clou que je vous ai montrée : le mécanisme ne fonctionne plus, l’armoire garde son secret… Supposons maintenant le danger écarté : sur un appel de moi, Bérengère veut rentrer dans la chambre ; elle n’a qu’à pousser ce même petit verrou, comme ceci, de droite à gauche, vous voyez…
Turquand, tout en parlant, venait d’exécuter la manœuvre indiquée ; l’armoire s’était à nouveau, d’elle-même, ouverte avec un léger bruit de déclic.
Les deux hommes rentrèrent dans la chambre.
Loraydan balbutia :
– Vous avez dit que Bérengère… sur un appel de vous… vous pourriez donc l’appeler ?… Messire ! ah ! messire, tout ceci me confond, m’étonne, m’effraye… où est-elle ? Oh ! dites-moi où est Bérengère en ce moment !…
Turquand sourit, et, de sa voix grave :
– Remettez-vous, monsieur le comte, Bérengère est en ce moment là où elle doit être dès que je lui signale le danger… Elle est là où conduit cet escalier.
– Vous l’avez donc prévenue ?…
– Certes. Pour l’habituer à une prompte exécution, pour l’habituer surtout au sang-froid, au calme nécessaires, je lui fais, une fois ou deux par semaine, sans l’avertir du jour et de l’heure, exécuter toute la manœuvre, toute la marche… Elle a été tout à l’heure prévenue par moi qu’elle eût à chercher son refuge et à fuir sans hésitation : elle a obéi…
– Vous l’avez prévenue ! haleta Loraydan. Quand ?… Comment ?…
– Lorsque j’ai fait, devant vous, manœuvrer la porte de fer qui, tout d’abord, arrêtera les assaillants à l’entrée du logis, au rez-de-chaussée. En même temps que se déclenchait le mécanisme, un ressort mettait en mouvement cette clochette d’alarme que vous voyez ici – et Turquand, du doigt, désigna une sonnette accrochée à un fil de fer dans un angle du plafond – Bérengère a entendu la clochette. Bérengère a fui dans l’escalier… Si je veux la rappeler, lui
Weitere Kostenlose Bücher