Don Juan
genoux, les mains jointes, devant le père de celle qui alors se dressait dans son âme avec la douce et puissante autorité de l’innocence…
Ah ! pourquoi n’obéit-il pas à cette régénératrice impulsion ?
Pourquoi, de ses lèvres brûlantes, ne laissa-t-il pas couler les salvatrices paroles d’amour pur qui débordaient de son cœur ?
– Père, criait ce cœur, ô père de ma bien-aimée Bérengère, aidez-moi, sauvez-moi de moi-même. J’aime de toute mon âme qui jamais n’a aimé, j’aime cette fleur de candeur, cette chaste enfant qui est votre fille, et je sens que mon amour, purifié par la flamme de mes remords, peut faire de moi un homme ! ô père, je fus méchant. Je fus cruel. Je ne savais pas. J’ignorais les joies suaves et profondes de la bonté, de l’amour pur. Fuyons, ô ma bien-aimée ! Fuyons, ô père de ma bien-aimée. Fuyons tous trois loin du crime, du mensonge, de l’imposture, de la trahison ! Emmenez-moi, puisque vous avez daigné me recueillir ! Allons-nous-en loin de Paris et de la cour ! Et à nous trois, vivons une vie de paix et de bonté, occupés à répandre autour de nous un peu de ce bonheur qui sera en nous, inquiets seulement de la tristesse qu’un de nous pourra témoigner, joyeux de sa joie, cherchant par le monde si d’autres que nous ne pleurent pas, ne souffrent pas, et venant à leur secours comme vous êtes venu au mien, ô ma bien-aimée, ô père de ma bien-aimée… partons… fuyons… emmenez-moi… régénérez-moi… apprenez-moi l’amour, la bonté, le bonheur… la vie… toute la vie !…
Pourquoi ces paroles s’enfermèrent-elles dans le cœur d’Amauri de Loraydan ?
Pourquoi, lentement, se redressa-t-il, de courbé qu’il était ?
Pourquoi les larmes qui pointaient à ses cils se desséchèrent-elles comme à quelque feu dévorant ?
Pourquoi ?… Qui sait ?… Peut-être simplement parce qu’il vit en imagination le sourire railleur d’un Essé ou d’un Sansac. Peut-être parce qu’il entendit à ses oreilles leur voix méprisante lui demandant pour combien d’écus il avait vendu son blason à un usurier. Oui, sans doute, ce fut le hideux orgueil de race qui tout à coup l’arracha à cette noble émotion qui avait failli prendre son cœur. L’orgueil !… Ce que les hommes, imbéciles en leur langue, inaptes à traduire par des verbes justes les fluctuations de leur pauvre âme ignorante appellent l’orgueil !
Orgueil ? Mot vainement orgueilleux lui-même parce qu’il présuppose la réalité d’un sentiment qui reste à démontrer et qui, peut-être, n’existe guère qu’à l’état de mot !
Qui sait ce qui resterait d’orgueil dans l’esprit des hommes si le mot orgueil était supprimé de leur langage conventionnel ?… Qui pourra jamais mesurer la puissance des mots ?…
Loraydan se redressa, l’œil sec, le visage fermé, honteux et frémissant d’avoir failli devenir un homme, de bête féroce qu’il était.
– Jamais ! se rugit la bête féroce réveillée. Jamais je ne me livrerai à ces gens. Jamais ils n’auront l’illustre nom qui m’a été légué par une lignée de fiers barons ! Debout, Loraydan, debout ! Prends-les ! Prends leur or ! Prends la fille ! Prends les secrets que le père vient de te livrer, et sache t’en servir à l’occasion ! Prends tout, c’est ton bien, – et ne donne rien ! Surtout, ah ! surtout, ne donne pas ce nom que tu dois à tes aïeux de garder pur de tout vil contact !…
Et lorsque Loraydan se fut redressé, lorsqu’il fut redevenu lui-même :
– Me voici donc pleinement rassuré, messire. Je vois que ce soir, quand Sa Majesté le roi s’en viendra rôder autour de votre maison, il se heurtera à d’infranchissables barrières. Mais enfin, messire, supposons le pire ! Supposons la porte de fer enfoncée, vos serviteurs massacrés, vous-même tué, supposons que le roi parvienne à ouvrir cette armoire, descende l’escalier, et suive le chemin qu’a suivi votre fille, qu’arriverait-il ?
Turquand se leva, et répondit tranquillement :
– Il arriverait qu’au bout du souterrain que j’ai fait creuser, le roi parviendrait là où est parvenue Bérengère, c’est-à-dire dans la chapelle de l’hôtel d’Arronces…
Loraydan tressaillit.
– Et là ? fit-il. Là ! Il trouverait Bérengère !… Il la trouverait !…
– Sans doute, dit Turquand. Mais il la trouverait sous la protection de
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