Don Juan
Moi !…
– Toute la rue Saint-Denis ne parle que de cela. Cette bonne dame Jérôme Dimanche est indignée, de même que la marchande de flans, et l’épicière, et la tripière, toute la rue, te dis-je ! Sans compter ta victime, cette infortunée petite Denise qui pleure et se lamente !
– Elle pleure ? fit Corentin.
Et il rougit !…
Et il se demanda si vraiment, l’autre matin, le grand matin, le matin où il l’avait happée dans ses bras et sauvée, dans l’effondrement de l’estrade, le matin bienheureux où, ensemble et se donnant le bras, ils étaient, elle et lui, revenus depuis la rue Saint-Antoine jusqu’au logis de la rue Saint-Denis, l’ineffable matin où de ses propres oreilles, il l’avait entendue dire ces douces paroles : « J’aime Jacquemin de Corentin !… » oui ! il se demanda si ce matin-là, il n’avait pas poussé les choses un peu trop loin, outrepassé les bornes de la bienséance, attenté enfin à l’innocente vertu de la jolie Denise…
– Monsieur, dit-il, je suis tout honteux de ma conduite, je l’avoue.
– Ah ! fit don Juan étonné, tu avoues !…
– Je dirai pourtant à ma décharge que c’est elle, monsieur, qui a voulu m’embrasser…
– Denise a voulu t’embrasser ? répéta don Juan qui, de l’étonnement, passa à la stupeur.
– Oui bien. Mais je m’y refusai. Je dois dire au reste, pour être véridique et loyal, que ce refus provint uniquement de mon nez…
Don Juan avait baissé la tête et méditait, non sans amertume, sur cet événement qui l’humiliait : Denise avait voulu embrasser son valet et celui-ci avait dû se refuser aux entreprises de la jolie fille !…
– La peste soit de la donzelle ! se grommela-t-il. Quelle perversité ! Fiez-vous aux airs ingénus ! Et qui avait-elle choisi ? Ce bélître de Corentin ? Il est vrai que ces petites filles qui rougissent pour une œillade vous ont souvent des cervelles que hante le vice… C’est bon, reprit-il. Ne parlons plus de cela et fais-moi savoir d’où tu viens…
– Mais, monsieur, de Blois ! Ville fort ennuyeuse si j’en juge par la salle de l’auberge du Soleil-d’Or, où je me suis morfondu…
– Tu l’avoues donc ! Les tavernes de Paris ne te suffisent plus ; il faut aussi que tu coures la province, pour obéir à tes hideux penchants de paillardise…
– Moi ! paillard ! bégaya Jacquemin écarlate de honte.
– Tes penchants d’ivrognerie sans vergogne !…
– Pour un ou deux brocs de vin que j’y bus ! Fameux vins, d’ailleurs, qu’ils appellent là-bas : le rouge, du Saint-Georges, et le blanc, du Vouvray. Ils ont raison, monsieur : le rouge est un vin d’archange, et le blanc…
– Tes penchants de mensonge, interrompit don Juan, d’imposture, et de tromperie du diable !
Jacquemin Corentin, devant cet excès d’outrage, retrouva sa dignité. Il se redressa d’un air de modeste fierté, considéra son maître avec une sorte d’indignation tempérée par le respect…
– Monsieur, dit-il, quand on veut tuer son chien, on commence par dire qu’il est enragé… Mes longs services et la mémoire vénérée de don Luis Tenorio eussent dû me préserver de telles atteintes. Si vous voulez me chasser, dites-le sans me faire souffrir davantage.
– Te chasser ! s’écria don Juan. Je te le défends bien, par le ciel ! qui donc me servirait aussi bien que toi qui connais à fond mes goûts, mes habitudes… et puis… je vais te dire…
Don Juan fit quelques évolutions rapides à travers la chambre. Sur le point d’en arriver à l’unique question qu’il préparait depuis l’entrée de Jacquemin, il se sentit rougir. Il eut comme un soupir de rage et de détresse. Mais, secouant rudement la tête, il parut écarter d’importunes pensées :
– Au fait ! gronda-t-il. Je suis bien sûr que tu as, dans ton escapade éhontée, dévoré jusqu’au dernier de ces… de ces carolus d’or que tu me montras en l’auberge de Périgueux… car tu es prodigue, tu jettes les écus à la tête des gens… je t’en fis maintes fois le reproche.
Pour cette fois, Jacquemin Corentin triompha.
– Non, monsieur, dit-il. Je n’y ai point touché. Les douze carolus d’or sont là, dans ma ceinture. Ils me sont sacrés, maintenant.
– Fais les voir, un peu ! murmura don Juan. Sacrés ? songea-t-il non sans une pointe d’émotion. Pauvre Corentin ! Sacrés parce qu’il me les réserve !…
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