Don Juan
quelqu’un que le roi, tout roi qu’il est, n’osera braver…
– De quelqu’un ? gronda Loraydan.
– D’un fantôme ! dit Turquand avec une sorte de majesté. Le souterrain aboutit à un tombeau. Dans ce tombeau dort une femme que le roi François n’osera jamais affronter. Car cette femme fut l’une de ses victimes. Le fantôme, monsieur le comte, s’appelle Agnès de Sennecour… Ne cherchez pas à comprendre. Contentez-vous de l’assurance que je vous donne en toute connaissance de cause.
– Soit ! s’écria Loraydan hors de lui. Mais s’il ose ! Si la victime ne se lève pas pour l’arrêter ? Si le fantôme ne lui fait pas peur ? Messire, messire, si le roi ose oser ?
Et Turquand répondit :
– Cela même est prévu. Si le roi ou tout autre larron poursuit ma fille jusque dans la chapelle de l’hôtel d’Arronces : si la majesté du lieu ne l’arrête pas, s’il passe outre au respect dû aux morts, à l’instant même où sa main atteindra Bérengère, cette main, comte, ne touchera qu’un cadavre.
– Un cadavre ! bégaya Amauri de Loraydan frappé d’une sorte d’horreur.
Et Turquand, de sa même voix paisible, devenue alors effrayante de calme funèbre :
– Bérengère porte toujours dans son aumônière un poison foudroyant que j’ai fait composer pour elle… la suprême aumône ! Vienne l’occasion, monsieur le comte, elle saura s’en servir !…
XXXIII
SUITE DE LA DESTINÉE DE JACQUEMIN CORENTIN
Amauri de Loraydan sortit du logis Turquand, bouleversé, la tête en feu, oubliant même de demander à l’orfèvre de rappeler sa fille ; rassuré sur les suites de l’entreprise de Sa Majesté, il l’était pleinement. Mais d’étranges et maladives pensées de perversité tourbillonnaient dans son cerveau… Nous verrons plus tard quelles pouvaient être ces pensées.
Le soir de ce jour, comme le roi lui en avait donné l’ordre, il se rendit au Louvre. Il y trouva Sa Majesté toute prête pour sa galante expédition. Il y trouva aussi ses deux ordinaires compagnons, Essé et Sansac.
Ces quatre personnages, dix heures sonnaient à Saint-Germain-l’Auxerrois, sortirent du Louvre et prirent, tout riant et bavardant entre eux, le chemin de la rue du Temple.
Et nous aurons à raconter l’expédition, et quelles en furent les suites.
Pour le moment, notre attention se trouve sollicitée par un autre personnage qui n’est autre que le protagoniste de la présente histoire, nous voulons dire l’illustre don Juan Tenorio.
Nous avons vu que, la veille, en quittant tout courant, tout effaré, le logis de dame Jérôme Dimanche, Juan Tenorio s’était heurté à Amaury de Loraydan – fatale conjonction de deux esprits du mal, dont devaient sortir des événements dignes de tout notre intérêt de conteur.
On se souvient peut-être qu’au moment où ces deux hommes se quittèrent après avoir lié connaissance de la façon que nous avons exposée, Amauri de Loraydan avait en substance dit à Juan Tenorio :
– Venez après-demain, à midi, à l’hôtel de Loraydan, et d’ici là, cachez-vous…
On a vu que don Juan avait aussitôt regagné l’auberge de la Devinière où il s’était gîté dès son arrivée à Paris, et tenant pour valable le conseil de son adversaire… ou de son allié, il ne savait pas encore au juste comment se le désigner, – il s’était enfermé en sa chambre.
Là, il avait passé une fort maussade journée, se réprimandant soi-même, s’invectivant à propos du misérable insuccès de son imposture – insuccès dont il eût dû au contraire se louer fort – regrettant amèrement d’être sans doute à jamais perdu et déshonoré dans l’esprit de la trop jolie Denise, donnant à tous les diables ce truand, ce malandrin, ce vil routier, ce Bel-Argent, cause de la catastrophe, se promettant de lui couper à tout le moins les deux oreilles, sans préjudice, de maint autre coup de rapière au travers du corps, bref, de le mettre en capilotade.
La journée se passa en réflexions débordantes d’amertume, tantôt furieuses, tantôt fort tristes, et ces réflexions n’en devenaient que plus amères, plus sombres, plus furieuses, lorsqu’il venait à se rappeler que, dans sa fuite devant le chœur des commères, il avait perdu sa bourse, laquelle contenait tout son avoir…
Au demeurant, il n’en dîna pas moins d’un excellent appétit, se fit servir en grand seigneur qu’il était, puis, gagnant
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