Don Juan
confondra dans le titre que te vaudra ta charge à la cour de France !
Loraydan se courba, se coucha pour ramasser l’os. Il remercia en termes mesurés. Puis :
– J’entre donc le premier. Je vais droit à l’homme. Pour la paix de ma conscience, je lui demande s’il veut laisser le champ libre et s’en aller. S’il s’en va, il a vie sauve, car un chrétien ne doit pas en vain répandre le sang…
– Juste ! Très juste ! dit le roi avec sincérité. Et s’il résiste…
– Je le tue. Et vous appelle ensuite. Ou il me tue…
– Et ce sera à nous d’agir alors ! fit impétueusement Sansac.
Le roi se leva et dit :
– Tout est ainsi fort bien réglé. Une fois que je serai dans la place, ne vous occupez plus de moi et retenez seulement le digne usurier de père. Quant à la fille, je m’en charge…
Une flamme passa dans les yeux du roi : quelque soudaine vision de violence… le fauve humain se ruant sur la serve qui palpite… Ce rêve rapide exaspérait sa passion.
Une flamme aussi dans les yeux de Loraydan : la rouge étincelle du meurtre…
– Allons ! dit François I er d’une voix brève et sèche, presqu’un grognement… oui : le grognement du maître qui va foncer sur la serve – misérable instrument de plaisir.
Et tous quatre sortirent, empressés.
XXXV
AUX ABORDS DU LOGIS TURQUAND
En quelques minutes, les nobles rôdeurs arrivèrent devant la maison de l’usurier – donc devant la grille de l’hôtel d’Arronces. Le logis Turquand était silencieux et obscur. Et silencieuses, les ténèbres épandues sur Paris, sur le chemin de la Corderie, par cette nuit d’hiver. Une vraie nuit faite pour les larrons, pour les rôdeurs, pour les détrousseurs. Le guet-apens se plaît à ces ambiances : au grand jour, le truand d’amour, l’assassin d’honneur cligne des yeux, et son ennui est grand d’être forcé à emprunter figure d’homme, – un masque pesant. Par les nuits de ténèbre et de silence, il peut, en toute liberté, reprendre sa vraie figure, groin ou mufle, – et n’est-ce pas un soulagement ? Il aurait fallu pouvoir, à ce moment, projeter un jet de lumière sur le mufle du roi François I er : le spectacle eût, sans doute, été assez curieux, de cette face ordinairement blafarde, échauffée par les vins, enflammée par les visions de rut violent, c’était un roi, un de ces braves rois auxquels l’histoire témoigne une maternelle indulgence en raison même de leur petites fredaines… Il y avait par-ci par-là, dans Paris, quelques pauvres serves qui pleuraient, mais les pleurs des serves sont un appoint à la gloire, à l’honneur, à la joie du maître – maître par la force du bras… ou par le pouvoir… ou par l’argent… selon les temps, selon les mœurs, selon les vocabulaires.
Essé et Sansac étaient calmes, insoucieux.
Loraydan vivait une minute d’horreur, et sa main tourmentait la poignée de sa dague.
Le roi trépidait. Une sorte d’exaspération nerveuse le redressait, lui donnait une illusion de jeunesse et de force, et presque il souhaitait de pouvoir lui-même s’attaquer au colosse gardien du logis Turquand, dénoncé par Loraydan. Il était à une de ces heures où le besoin de l’action, sous la forme qui plaira au hasard, doit à tout prix se satisfaire. Dans ces heures-là, un homme devient une brute ou un héros.
– Allons, dit-il, de sa même voix brève et sèche, voici le logis Turquand : frappe, appelle !…
Loraydan vacilla. D’un geste impulsif il tira sa dague.
– C’est pour le truand du logis ! songea François I er qui vit très bien le geste.
C’était pour lui !… Le truand que le comte de Loraydan allait abattre, c’était lui ! Une seconde encore, et l’Histoire eût eu à enregistrer un de ces actes qu’elle appelle des événements… un de ces millions de minuscules incidents dont fourmille l’histoire de la pauvre humanité.
Oui, une seconde encore et Loraydan, à bout de forces, changeait le nom du joyeux compère chargé de veiller, comme dit l’autre, de veiller sur les destinées de la France.
Loraydan ivre d’horreur, Loraydan fou de jalousie, Loraydan levait le bras… le roi saisit ce bras :
– Jour de Dieu, mes chers amis, murmura-t-il, ne voyez-vous pas qu’on nous guette ?
Loraydan eut le soupir de soulagement du malheureux sur qui pèse de tout son poids quelque hideux cauchemar, et qui se réveille à temps. On guettait le roi !
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