Don Juan
pu, là, en cette minute, amener devant lui, si on lui eût donné à choisir, il eût ardemment souhaité que ce fût justement Juan Tenorio… le seul qu’il eût pesé, jugé, compris… le seul capable de l’entendre, de le comprendre, lui, là, en cette minute !…
ET C’ÉTAIT DON JUAN TENORIO !…
Juan Tenorio seul était capable de faire les gestes qu’il fallait, de dire les mots qu’il fallait, ah ! les gestes et les mots qu’il fallait pour condamner Clother de Ponthus !
Et lorsque Loraydan eut reconnu don Juan, il se cria :
– À NOUS DEUX, CLOTHER DE PONTHUS !…
Il faut des lignes d’écriture pour qu’il y ait entente entre celui qui lit et celui qui écrit, il en faut ! Mais dans l’esprit de Loraydan, les lignes n’y étaient pas : deux ou trois brusques éclairs fauves, aveuglants. Don Juan Tenorio venait à peine de parler que Loraydan reprenait :
– Veuillez nous céder la place. Nous vous en serons reconnaissants.
– Ma reconnaissance, à moi, sera sans bornes si vous consentez à vous en aller !
– Monsieur, nous sommes quatre, et vous êtes seul. En toute justice…
– En amour, il n’y a pas de justice ! Fussiez-vous mille, mon droit vaudrait le vôtre !
Loraydan s’amusait, se délectait. Il montrait l’exquise patience d’un gentilhomme de haute politesse. Don Juan, tout bonnement, commençait à s’échauffer. Loraydan poursuivit :
– En ce cas, monsieur, laissez-moi vous dire que vous ignorez à qui vous avez affaire : il s’agit ici d’un haut personnage…
– Fût-il plus haut qu’une sierra d’Espagne, et ce n’est pas peu dire, je me hausse à sa taille et n’en démords point.
– Monsieur, il s’agit d’un prince… amorça Loraydan, sinistre et joyeux.
– Prince ? Ah ! vous me fendez l’âme, mon cher monsieur. Prince ? Ne le suis-je pas moi-même en ce moment ? C’est ici la principauté de l’aventure, le duché de l’amour… Osez prétendre que sur ce terrain votre prince est plus duc ou plus prince que moi !
Don Juan se mit à rire et tira son épée.
François I er fit deux pas et gronda :
– Assez !… Allez-vous-en ! Partez, par l’enfer, ou je vous fais jeter au Temple tout proche !
– Ho ! fit don Juan. Si c’est le temple d’Éros, à qui je veux justement faire mes dévotions, je suis tout prêt à m’y rendre. Mais qui êtes-vous, monsieur, vous qui me parlez sur un ton de roi ?
– Je suis le roi !…
À peine ces mots échappèrent-ils à François I er qu’il les regretta amèrement. Mais il ne savait pas quel incrédule, quel sceptique il avait devant lui. Don Juan ne crut pas un instant qu’il parlait au roi de France. Seulement il fut mortifié qu’on employât à son égard un aussi grossier subterfuge pour le mettre en fuite. Et se redressant, tel un coq en bataille :
– Vous êtes le roi ? Le roi François ? Et vous n’avez pas honte de le proclamer ? Vous, sire roi, vous, un homme marié ! père de famille ! qui devriez être couché à cette heure en votre lit conjugal ! Fi donc, sire roi ! Vous qui devez à vos sujets l’exemple de l’abstinence, de la continence, de la décence, et de toutes les vertus en excellence ! Dès que je verrai la reine, je lui dénoncerai votre indigne conduite !
François I er écumait. Essé et Sansac demeuraient interdits. On ne sait où se fût arrêté le sermon de morale que don Juan Tenorio débitait avec le ton et l’aplomb d’un moine prêcheur, si Amauri de Loraydan ne se fût jeté tout à coup sur lui.
L’attaque fut si prompte que don Juan dut, d’un bond, se mettre hors d’atteinte.
– Par le ciel ! cria-t-il, ceci est indigne d’un gentilhomme.
Et il se mit en garde, la rapière au vent. Loraydan comprit que l’instant décisif était venu. Avec le courage de l’homme qui joue tout pour tout, il s’élança au risque d’être percé de part en part, écarta violemment de la main l’épée de don Juan.
– Jour de Dieu ! cria François I er , ému par cette bravoure, prends garde, Loraydan !
– N’ayez pas peur, sire !…
Le roi, Essé et Sansac ne virent plus rien qu’un groupe indistinct hérissé de gestes forcenés et d’où venaient des grognements… puis tout cela s’effaça dans la nuit… dans la direction de la rue du Temple.
Une minute s’écoula.
Et soudain, Loraydan reparut.
Il essuyait sa rapière à un pan de son manteau… oui, oui : il essuyait sa
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