Don Juan
l’intendant du logis, de duègnes et d’officiers. Elle portait une robe de velours gris, jupe longue, corsage serré à la taille, en somme une amazone : à l’inverse de l’habillement masculin qui a été bouleversé, il est curieux de constater combien peu s’est modifié le costume féminin ; on retrouverait dans les âges passés le type de chaque nouvelle mode, et les Angevines portent encore le hennin d’Isabeau de Bavière.
Mais à la ceinture de Léonor luisait le fourreau d’une dague courte et acérée, vraie arme de bataille.
Elle descendait le perron, achevant de passer à ses mains des gants en peau de chamois qui lui montaient aux coudes. Et sa démarche était empreinte d’une si jolie résolution. Il y avait une si naturelle fierté en ses souples attitudes, sa pâleur mettait à son cher visage un peu maigri une si touchante expression que les larmes en venaient aux yeux des serviteurs assemblés, et que les gens d’armes en grommelaient tout bas des jurons par quoi ils tâchaient d’exprimer leur vénération admirative.
– Je vous prie tous, tremblait l’intendant, je vous supplie de vous souvenir que c’est malgré moi, malgré même la volonté de monseigneur le sénéchal.
– Calmez-vous, dit Léonor avec douceur. Ce n’est ni par lettre ni par messager que le Commandeur d’Ulloa doit être informé. Il faut que moi-même… Dieu puisse me dicter les paroles capables, sans le tuer, d’apprendre à mon père…
Son sein se gonfla. La voix lui manqua…
– Mais au moins, au nom du ciel ! qu’une suffisante escorte…
– Je dois aller vite. Soyez rassurés, tous. La bravoure de ces deux compagnons m’est connue – et j’ai mon vaillant Moreno, dit-elle en flattant le front du genêt. Ah ! Reno, ce n’est plus d’une galopade aux bords du Guadalquivir qu’il s’agit !… Allons, maintenant, attendez-moi ici ; venez, Elvira…
Elle se dirigea vers une issue donnant sur le chemin de los Anjeles, qui séparait le palais du couvent des franciscains. Les têtes se courbèrent. Les cœurs murmurèrent : Sembla una reyna hermosa…
Il n’y avait qu’à traverser ce chemin presque toujours désert, et on pénétrait dans la chapelle de Saint-François.
La symbolique ogivale y régnait, mais se paraît de l’étincelante robe arabesque. Le gothique était bien son inspiration, mais s’y drapait d’une capricieuse décoration qu’on eût dite empruntée à l’Alhambra : elle était d’un temps où l’art chrétien consentait encore à fraterniser avec l’art arabe, ayant été bâtie vers 1406. C’est en suite d’un vœu que don Ruy Melchior d’Ulloa l’avait édifiée – sous condition que lui et ses descendants y auraient leur tombeau.
Elle se dressait au flanc oriental de l’enceinte, et son portail regardait une avenue intérieure du monastère ; mais par une entrée de côté qui restait ouverte de six heures du matin à midi, elle permettait à tout venant d’y entendre la messe ou d’y faire ses dévotions : les pères possédaient dans le cloître une deuxième chapelle plus humble, pour y remplir les devoirs que leur imposait la règle de leur ordre.
Elvira s’arrêta devant le chœur et se prosterna.
Léonor franchit la balustrade et contourna l’autel.
Là, sous l’abside, s’étendait le souterrain où reposaient les Ulloa. L’entrée en était couverte par une grandiose dalle de granit au chevet de laquelle veillait un chevalier de marbre, la tête nue, son casque à ses pieds, les deux gantelets appuyés à la croix de son épée. Sur cette pierre, l’un au-dessous de l’autre, avec la date, l’âge, une brève formule résumant chaque existence, funèbres annales, se suivaient les noms de ceux qui dormaient dans ce caveau, depuis don Ruy Melchior jusqu’à Maria-Elisabeth, épouse du Commandeur don Sanche. On avait commencé à graver une inscription dernière… mais elle n’était pas terminée, et les ciseaux restés là attendaient que l’ouvrier vînt finir de signifier qu’encore un être était descendu dans la nuit… On lisait :
L’an 1539, le 19 e jour de novembre
en sa vingtième année
très pure et très pieuse
Reyna-Chris
Et ce fut la vue de ces outils épars sur la dalle, cette inscription inachevée, ce nom tronqué comme une vie qui se brise, ce fut cela qui provoqua la crise de douleur. Léonor tomba à genoux et, la tête enfouie dans ses bras, éperdument, se mit à
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