Don Juan
était pâle. Un léger tremblement agitait ses lèvres.
– Monsieur, dit-il à Loraydan, voulez-vous veiller sur les blessés, tandis que je vais chercher…
Loraydan eut un vague geste d’assentiment. Clother s’élança.
Un quart d’heure plus tard, deux litières pénétraient dans l’hôtel d’Arronces. Mais lorsque Clother chercha des yeux son adversaire, il ne le vit pas. Loraydan avait disparu…
Clother fit placer le mort dans l’une des litières, et ayant soulevé son père dans ses bras, lui-même le coucha dans l’autre.
– Qui de vous sait où demeure ce gentilhomme ? demanda-t-il aux gens qu’il avait amenés, en désignant le corps de Maugency.
– M. de Maugency, a son hôtel au milieu de la rue Saint-Honoré, indiqua Philippe de Ponthus.
Les deux litières se mirent en route. Rue du Temple, elles se séparèrent, celle qui portait Maugency continuant son chemin vers la Seine, et celle de Ponthus se dirigeant vers la rue Saint-Denis.
Là, presque en face de l’auberge de la Devinière, dans une vieille maison, les deux Ponthus occupaient au premier étage un assez modeste appartement composé de cinq pièces, y compris une sorte de vestibule. Comme il avait déjà fait, Clother de Ponthus enleva le blessé dans ses bras nerveux, et ainsi le monta-t-il, vigoureux et tendre, comme Énée, aux temps héroïques, emporta son père Anchise ; il le coucha sur un lit, et, à la brave femme préposée à leur ménage, commanda de courir chercher un chirurgien.
– Pas de chirurgien ! sourit Philippe. Ferme la porte, et écoute !
– Vous soigner d’abord, vous écouter ensuite ! grelotta Clother.
– M’écouter d’abord ! Obéis à mon dernier ordre. Il me reste une heure à vivre, je ne peux pas la perdre à entendre les sornettes d’un hère qui me fera mourir en latin.
Une heure à vivre… Non, quelques minutes à peine. Philippe s’abaissa soudain, une écume de sang moussa à ses lèvres, et tout à coup, il vit la Mort assise à son chevet ; il ouvrit les bras et eut encore la force d’étreindre son fils en murmurant :
– Je m’en vais… adieu, Ponthus !… J’aurais voulu te dire… quand tu sauras la vérité, fuis, mon fils, mon bien-aimé fils, va-t’en hors de Paris, hors de France… Les cœurs comme le tien, partout, peuvent lutter et conquérir le bonheur… les épées comme la tienne, partout, sont précieuses… Trop tard !… Écoute pourtant l’ordre suprême… obéiras-tu ?…
– En doutez-vous, monsieur !…
– Eh bien, dès que je n’y serai plus, rends-toi à mon castel de Ponthus, près Brantôme… là tu trouveras ce que j’avais à te dire… à te dire parce que tu as eu hier vingt et un ans… à te dire parce que la morte m’avait commandé de parler aujourd’hui… Là-bas… dans la salle d’armes… la panoplie… l’épée du centre… la poignée est creuse… N’oublie pas… adieu… adieu… n’oublie pas l’épée de Ponthus…
Et il expira…
XIII
L’ÉPÉE DE PONTHUS
Le lendemain de l’enterrement de son père, Clother de Ponthus, obéissant à l’ordre suprême, monta à cheval à la pointe du jour et prit la route de Brantôme. C’est aux abords de cette petite ville que se trouvait le domaine de Ponthus, domaine jadis considérable alors que les Ponthus, sous les règnes de Charles VIII et de Louis XIII occupaient un rang distingué à la cour de France, maintenant domaine restreint au milieu duquel s’élevait un castel dont les deux tours rondes avaient soutenu vaillamment plus d’un assaut, au temps où des partis anglais parcouraient la province… les deux tours menaçaient ruine, le castel était délabré : sans doute Philippe de Ponthus n’avait jamais eu les ressources nécessaires pour l’entretien de ce logis, ou peut-être, dès le début de sa vie, avait-il été frappé par un de ces découragements qui font qu’un homme passe dans l’existence en voyageur qui refuse de s’intéresser au pays.
Clother cheminait donc vers Brantôme.
Il se sentait affreusement triste ; parfois une larme venait gonfler sa paupière et roulait sur sa joue, toute brûlante… Il pleurait son père… Il était aux prises avec la première douleur de sa vie.
Amauri de Loraydan était l’une des innombrables bêtes féroces qui, toujours, ont infesté le monde.
Clother était ce que la nomenclature moderne appelle un sentimental.
C’était un cœur, un de ces cœurs en qui
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