Don Juan
l’a mordu au cœur ! Les pièges, les embûches, la trahison, voilà ses armes. Ceux qu’il rencontre autour de celle qu’il a choisie, il les écarte, les fait disparaître dans un cachot, ou les achète. Il a déjà commencé chez vous. Messire, il faut tout de suite jeter dehors tout votre domestique, et prendre des gens sûrs. Je vous les donnerai, moi !
– Inutile ! dit paisiblement Turquand. Je suis sûr de mes gens.
Loraydan éclata de rire.
– Je vous dis que le roi a vu votre fille ! qu’il la veut ! Vous ne comprenez donc pas ? Le roi ! Le roi rôde autour de votre maison ! Le roi ! Le suborneur ! Le parjure ! La bête féroce !
– Je le sais ! dit Turquand, toujours paisible.
– Vous le savez ! Et savez-vous qu’il a déjà acheté la femme attachée à la personne de votre fille !
– Je le sais ! dit Turquand avec la même tranquillité. C’est par mon ordre que dame Médarde a accepté ces présents du roi… Je veille, vous dis-je ! C’est moi qui veille !
– Mais… ne feriez-vous pas bien de changer de logis ?
– Non. Ce logis a été bâti sur mes plans. Et ces plans, je les ai travaillés, moi, en vue de la défense. Croyez-le : moi vivant, Bérengère n’a rien à craindre… ni du roi… ni de personne au monde !
Turquand prononça ces mots d’un accent qui fit frémir Loraydan. Il y eut un silence. Puis le maître ciseleur, d’un ton enjoué :
– Les dix sacs vous sont bien parvenus sans encombre ?
– Maître Turquand, dit Loraydan, je voudrais parler à Bérengère…
On eût dit qu’il n’avait pas entendu la question posée… non, il ne l’avait pas entendue… L’orfèvre ouvrit une porte et donna un ordre. Quelques instants plus tard, Bérengère entrait dans la salle, si jolie en la simplicité de sa toilette matinale, si captivante par sa timidité qui lui laissait toute liberté d’allure parce qu’elle était sincère, si gracieuse en sa marche légère, que Loraydan se sentit frissonner d’amour. Elle tremblait… l’amour, dans toute son attitude éclatait malgré elle, ou plutôt sans qu’elle en eût conscience. Oui, son cœur tremblait… comme tremble tout ce qui entre dans la redoutable aventure de l’amour.
Loraydan répéta la scène qu’il venait de jouer à Turquand. Il la répéta parce que le nombre de gestes que comporte une passion au paroxysme est incroyablement restreint – et Loraydan était fou de passion en cette minute… fou de jalousie.
– Bérengère, dit-il, je vais me battre avec cet homme que vous voyez là… près de la grille… celui qui porte un manteau de velours gris… Tenez ! tenez ! il lève les yeux sur vous !…
– Vous battre ! murmura Bérengère toute pâle.
C’étaient les premières paroles qu’ils se disaient…, c’étaient des paroles d’amour.
– Me battre ! répéta Loraydan. Et le tuer ! Connaissez-vous cet homme ? Dites ! Le connaissez-vous ?
– Je l’ai déjà vu ici… fit Bérengère dans un souffle.
Ah ! la malheureuse qui ignorait encore le mensonge, qui ne savait pas encore que le mensonge est l’arme de défense et d’attaque dans la bataille que se livrent la femme et l’homme, arme de meurtre souvent, arme de suicide parfois, arme presque toujours nécessaire, car il y a si peu, si peu d’hommes, si peu, si peu de femmes capables de combattre par la vérité ; Il eût été si simple que Bérengère répondit : Non je ne connais pas cet homme… Il fallut qu’elle se crût obligée de dire la rigoureuse vérité… la vérité ! Oh ! c’était une pauvre petite vérité : une fois, une seule fois elle avait vu Clother de Ponthus à cette grille !…
– J’en étais sûr ! ricana en lui-même Loraydan.
– Vous battre ! balbutia Bérengère, blanche comme un lis.
– Elle tremble pour lui ! Me battre, et, si je puis, le tuer ! dit-il.
Il s’inclina, le cœur gonflé à se briser… et elle se sentit défaillir… elle se laissa tomber dans un fauteuil. Loraydan salua d’un geste bref le maître ciseleur et s’élança au dehors. L’infernale souffrance de la jalousie pétrissait son cerveau, il se rugissait :
– Ils s’aiment ! Enfer ! Je le savais bien, par Dieu !… Et moi qui hésitais peut-être encore !… Non, non, la belle ! Ce nom de Loraydan illustré par tant de héros, tu ne l’auras pas !… Et moi… moi… je t’aurai !…
Il rejoignit le groupe des trois
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