Don Juan
lui-même qui m’a écrit de venir l’attendre, ce jour, en cette hôtellerie, pour m’y apporter ces cent écus d’or qu’il me doit… bon ! que vais-je raconter là !… Hâte-toi, Corentin, car je veux repartir tout à l’heure, étant fort pressé.
– Est-il donc descendu si bas ! se dit Corentin. J’y cours, monsieur, j’y vole ! Sa conscience ! Sa conscience !
– Restez, monsieur de Corentin, restez ! bégaya l’hôtelier. En lui-même, il fit un prompt calcul et mit en balance les cent écus d’or avec la certitude de la prison et de la ruine : il n’y avait pas d’hésitation possible. Et, tout d’une traite :
– Au nom du ciel, renoncez à faire venir M. le gouverneur qui n’aura rien de plus pressé que de mander ici le louvetier royal, lequel fera venir les gardes ! Puisque vous devez repartir sans délai, daignez me permettre de me substituer à M. de Montpezan pour ces cent écus d’or. Vous me les rendrez à votre prochain passage…
– Soit, dit don Juan. Je veux bien vous rendre ce service, car vous me paraissez honnête homme.
– La peste soit du truand d’enfer ! murmura Corentin. Ô don Luis Tenorio, où êtes-vous !…
Maître Fairéol s’était précipité. Dix minutes plus tard il rentrait, porteur d’un sac, et sans un soupir, mais l’œil hagard et le teint blême, il comptait sur la table les cent écus d’or qui, à coup sûr, représentaient son bénéfice d’une année.
– C’est un mauvais rêve, je vais m’éveiller, se disait-il. Puis-je emporter la tête ? fit-il timidement.
– Eh ! dit don Juan, il y a une heure que je vous prie d’en débarrasser ma table ! Non, non : laissez-moi le cuissot ! Je n’y ai pas encore touché !
– Mais, monseigneur avait dit… la complicité… la tête…
– Oui bien, je vous ai répété d’emporter la tête et de laisser le cuissot. Allez. Maître, faites bassiner votre lit et vous y glissez sans retard, car vous me semblez mal en point.
Et il attaque le cuissot, pendant que l’hôte se retirait, emportant la fameuse tête, et disant :
– Puisque monseigneur nous quitte, je vais préparer la note… Don Juan approuva d’un signe. Corentin, étourdi par cette scène, se taisait et méditait, perché sur ses longues jambes, les yeux fixés sur la quadruple pile de pièces d’or.
Une bonne heure se passa.
Puis maître Fairéol reparut, solennel, et sur son plat d’argent, présenta sa note. Don Juan y jeta un coup d’œil à peine ; mais ce coup d’œil lui suffit. Il sourit :
– Total : cent écus d’or. Eh bien, ce n’est pas trop cher. Payez-vous !
– Cent écus d’or ! s’exclama en lui-même Corentin. Oh ! le digne hôte ! C’est bien fait, seigneur Juan ! Vous trouvez votre maître !… Et la tête n’est plus là !
– C’est un trait de génie, dit doucement don Juan. Je m’en souviendrai longtemps.
Maître Fairéol s’inclinait, clignait de l’œil, souriait, et en somme faisait la roue. Avec une lenteur savamment calculée, il remettait les écus dans le sac, un à un, pendant que don Juan ravi, comme extasié, avec des exclamations admiratives, lisait et détaillait la note à haute voix.
– Il y gagne son dîner, le mien et l’avoine des chevaux, songeait Corentin. Tant de mensonge et de fourberie pour si peu ! Ô mon maître !…
– Ce qu’il y a d’admirable, disait don Juan, c’est que vous avez bien compris que je ne pourrais rien dire contre ces prix que vous me faites… Vous vous êtes bien douté que je ne tiens pas à attirer l’attention et que je me laisserais écorcher tout vif, sans crier… Monsieur Fairéol, vous êtes un grand homme !
Fairéol s’inclina modestement… Il n’avait pas dit un mot depuis sa triomphale entrée… Il se retirait à reculons, multipliant les salutations… Il atteignit la porte, son sac sous le bras…
– Mais, dit tout à coup don Juan, vous avez oublié une chose fort importante… Oh ! oh ! je tiens à tout payer, moi !… Venez ici, maître, et complétez votre note. Corentin, une plume et de l’encre, vite !
– Qu’est-ce ?… balbutia l’hôte en se rapprochant.
– Asseyez-vous… Là… Maintenant écrivez : Pour avoir tiré les oreilles de maître Fairéol… six livres !…
– Monseigneur, dit Fairéol tout pâle, je ne fais jamais payer cet article-là !
– Corentin, ne m’as-tu pas dit qu’il te restait un écu de six
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