Don Juan
dirigea doucement vers la cuisine où, malgré l’heure tardive, il trouva une somnolente maritorne attardée à quelque besogne, et qui consentit à rallumer le feu.
Là-haut, dans la misérable chambre, les mains encore posées sur la table, épuisé, brisé, d’un lourd sommeil, dormait le médium…
LE MÉDIUM ?…
Don Juan Tenorio !… Le médium, c’était don Juan !…
Et quel autre nom pourrions-nous lui donner ? Médium inconscient, mais médium… C’est-à-dire un de ces êtres capables d’obtenir des manifestations d’un autre monde. Comment ? Pourquoi ? Grâce à quelles tensions nerveuses ? ou à quelles forces fluidiques ? ou à quelle spéciale réceptivité ? On ne sait.
Mais, à coup sûr, don Juan était un de ces êtres.
Lorsque, dans la salle à manger du palais Canniedo, la table se mit en mouvement, don Juan était là. C’était lui qui, sans le vouloir, sans le savoir, avait appelé des profondeurs ignorées de l’Au-Delà l’être quelconque, ou si l’on veut, la force inconnue qui avait précipité cette table.
Lorsque, dans la chapelle de Saint-François, Léonor se mit à prononcer des paroles qu’elle n’avait ni voulues, ni cherchées, don Juan était là ; c’est lui qui, inconsciemment, avait appelé l’être ou la force capable de dicter à Léonor les mots qu’elle avait à dire.
En cette chambre de l’auberge d’Angoulême, c’est sûrement don Juan qui provoqua la manifestation d’une lueur, puis la création d’une main agissante et vivante : le médium, c’était lui !
Il ne le savait pas.
Il ne devait jamais le savoir …
XIX
PRIÈRE D’AMOUR
Nous avons dû reconstituer la scène qui précède parce qu’elle est d’un intérêt capital pour l’intelligence du drame final qui clôtura la vie aventureuse de don Juan. Ce drame incompréhensible, tous les auteurs qui ont écrit de Juan Tenorio le signalent sans l’expliquer autrement que par l’intervention divine. Il les préoccupe tous également, à tel point qu’ils le posent en vedette ; les sous-titres Festin de pierre ou l’ Invité de la statue, qu’on voit apparaître en tête de tous les ouvrages relatifs à don Juan prouvent que l’événement dont nous parlons tenait une place énorme dans l’imagination des auteurs. Les uns, disons-nous (et notre Molière est du nombre), en appellent à une intervention de la puissance divine. Les médecins, les philosophes, toujours folâtres en leurs commentaires, se contentent d’expliquer la chose par une supercherie des moines de Saint-François.
Y avait-il une explication naturelle, également éloignée du scepticisme et de la foi en un Dieu vengeur ? Nous l’avons pensé. La science spirite moderne ouvre bien des fenêtres, projette bien des rayons de lumière sur certains phénomènes étranges, mais incontestables, tels que les visions des saints.
C’est à cette science que nous avons fait appel – et qu’on nous permette de le dire, nous croyons être le premier à établir, grâce à elle, une explication logique, naturelle, MATÉRIALISTE, de la fin de don Juan.
La scène qui vient d’être reconstituée prépare cette explication.
Sur ce, reprenons notre récit qui demeurera aussi impartial que nous le pourrons.
Treize jours après cette soirée où don Juan et Jacquemin Corentin assistèrent à la formation d’une main dans l’espace, le 31 décembre au soir, par un temps sec et froid, Clother de Ponthus et Léonor d’Ulloa, suivis de Bel-Argent, entrèrent dans Paris et se dirigèrent aussitôt vers la rue Saint-Denis.
Ce fut dans l’auberge de la Devinière qu’ils mirent pied à terre.
Pour la fille du Commandeur, Ponthus demanda la plus belle chambre de cette noble hôtellerie, célèbre dans les fastes du temps, honorée par les visites des poètes, fréquentée par maître Rabelais lui-même.
Ponthus connaissait très bien l’hôte et l’hôtesse, et les tenait pour de dignes bourgeois à qui on pouvait faire confiance. Lorsque Léonor eut pris possession de son logis, il appela M me Grégoire et lui dit :
– La noble dame que j’ai eu l’honneur d’escorter jusque chez vous ne passera guère ici qu’un jour ou deux. Je pense même que, dès demain, elle pourra joindre son père qui est grand d’Espagne et accompagne l’empereur, lequel, dit-on, doit arriver demain matin. Je vous prie de veiller sur elle comme sur votre propre enfant. Je vous en serai reconnaissant. Vous
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