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Don Juan

Don Juan

Titel: Don Juan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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avons répété aux lectrices qui nous ont fait l’insigne honneur de suivre nos ouvrages que nous ne voulions pas nous interposer entre elles et nos personnages. Nous ne sommes et ne voulons être que le narrateur de ces drames. La pensée de nos héros, nous l’exposons sans la commenter.
    Pourtant, nous ne pouvons nous empêcher de faire observer ici combien fausse était la théorie de Juan Tenorio, combien profonde était son erreur, comme effroyable son égoïsme insensé.
    Nous devons aussi faire remarquer que, sans aucun doute, cet état de surexcitation où se trouvait don Juan prépara et rendit possible la scène qui va suivre.
    Pour revenir à l’étrange et complexe personnage que nous essayons de faire revivre, don Juan, accablé de douleur, alla tomber sur le misérable escabeau qu’il venait de quitter, et éclata en sanglots.
    – Léonor ! cria-t-il d’un accent de déchirant désespoir, Léonor, où êtes-vous ? Léonor, je vous adore, et vous me méprisez ! Pour la première fois de sa vie, Juan Tenorio, maître de l’amour, éprouve l’affreuse humiliation d’une défaite d’amour ! Léonor ! Léonor ! Venez à moi ! Léonor, je me meurs d’amour !
    Tout don Juan apparaissait dans ces mots : au fond, c’est surtout de l’humiliation éprouvée qu’il souffrait.
    Cette scène se déroulait vers neuf heures du soir.
    Une chandelle posée sur la table éclairait vaguement la chambre.
    Jacquemin Corentin bâilla longuement et dit :
    – Monsieur, vous vous mourez d’amour. Mais moi, qui ne suis pas amoureux, je meurs de faim.
    – Que veux-tu que j’y fasse ? dit don Juan.
    – Laissez-moi descendre à la cuisine pour dîner.
    – Non, Corentin, non, je ne veux pas que tu me quittes, et tu n’en aurais pas le cœur. Il faut que tu sois là pour que j’aie quelqu’un à qui raconter ma douleur.
    – Ah ! monsieur, tout à l’heure, vous vous êtes plaint des conventions humaines qui vous empêchent d’aimer à la fois dix duchesses et vingt maritornes d’auberge. Que dirai-je de ces mêmes conventions humaines, ou bien plutôt inhumaines, qui condamnent le valet à se passer de dîner parce que le maître n’a pas faim ?
    – Ce n’est pas la même chose, Corentin. Mais tais-toi, il me semble que je vais m’endormir…
    – Mettez-vous au lit, monsieur, et moi, pendant que vous dormirez…
    – Non ! non ! C’est sur cet escabeau que je veux dormir. Mais je ne dors que d’un œil. Si tu me quittes un seul instant, je te ramènerai ici à coups de bâton. Corentin, tu n’auras pas le cœur de m’obliger à me fatiguer encore à te donner la bastonnade.
    – Le diable soit de l’amour et des amoureux, et des maîtres tyrans ! gronda en lui-même Corentin fort triste.
    Et il se mit à considérer don Juan avec une expression d’indulgence très touchante. Il y avait comme une fraternité dans son regard, mais une fraternité voilée par le respect que lui imposaient ces mêmes conventions dont il se plaignait non sans quelque raison. Il y avait surtout de l’admiration. Don Juan lui apparaissait comme un être exceptionnel qui planait au-dessus des lois par quoi le monde moral est régi, une espèce de demi-dieu en qui le bien et le mal s’étaient également abolis pour lui laisser la plus large indépendance.
    Un léger craquement se fit entendre dans la table, mais Jacquemin n’y prêta aucune attention.
    Don Juan, appuyé au dossier de l’escabeau, les mains sur la table, les yeux fermés, semblait dormir. Mais il ne dormait pas. Il lui paraissait, au contraire, que son esprit vivait d’une vie plus intense. Il était en proie à une étrange surexcitation mentale qui décuplait la valeur mathématique de sa faculté de penser. C’était un état semblable à de l’éréthisme, et ses nerfs se tendaient sans qu’il en eût vraiment conscience, comme dans les minutes où s’accomplit quelque effort extraordinaire.
    Des afflux et des reflux d’images et d’idées déferlaient dans son esprit.
    Par un bizarre phénomène, ses pensées, sous l’analyse à laquelle il se livrait avec une prodigieuse activité, perdaient leur apparence normale qui est d’être impossibles à comparer avec de la matière : elles prenaient une consistance à demi matérielle et se présentaient sous forme de couleurs :
    Des pensées blanches, des pensées noires, des pensées d’azur, des pensées d’un rouge sanglant…
    Parfaitement éveillé, maître

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