Don Juan
me connaissez, et vous savez que ce mot a, pour moi, une signification…
– Soyez rassuré, monsieur, dit l’excellente M me Grégoire. Le logis de cette dame se compose de deux pièces. Pour vous ôter toute inquiétude, je dormirai cette nuit dans la première, et nul ne pourra parvenir à la noble Espagnole sans m’éveiller. Or, vous me connaissez aussi, seigneur de Ponthus, et vous savez que je suis de taille à tenir tête aux plus hardis.
Ponthus, pour la première fois qu’il venait à la Devinière, considéra avec admiration, avec respect, avec attendrissement, la haute taille, les fortes proportions, les bras puissants de la digne M me Grégoire.
Il sortit pleinement rassuré.
Devant le perron, il retrouva Bel-Argent qui se carrait dans un habillement tout battant neuf et de malandrin qu’il avait été prenait figure de bon valet. Nous laisserons au lecteur le soin d’établir si c’était là une heureuse transformation. Mais nous pouvons l’assurer qu’au moral, Bel-Argent avait beaucoup gagné à ce changement d’existence.
Clother lui désigna la maison qu’il habitait et qui, nous l’avons dit, se situait à peu près en face de la Devinière.
– Ne bouge pas d’ici, ou de la grande salle de l’auberge. Si tu aperçois quelque visage suspect, viens à l’instant me prévenir.
Puis il s’éloigna en se disant :
– Je crois bien que j’ai pris toutes les précautions nécessaires à la sûreté de la noble dame qui m’a fait l’honneur de m’accepter pour son écuyer servant. C’était mon devoir, puisque son père m’a sauvé la vie. C’était aussi mon devoir, parce que tout bon gentilhomme se doit de protéger les dames, ainsi que me l’a appris le seigneur Philippe de Ponthus… Oui, j’ai fait tout ce qu’il fallait.
En même temps qu’il se décernait ainsi un brevet de bonne conduite, il s’adressait de violents reproches, et une voix lui criait :
– Non, non, ce n’est ni dame Grégoire, ni Bel-Argent qui doivent veiller sur Léonor. C’est toi ! C’est toi seul ! Ose donc t’avouer que tu n’oses pas…
C’était imprécis, d’ailleurs… Cela ne se formulait pas aussi nettement… Au vrai, il éprouvait un grand chagrin à s’éloigner, et il en avait à peine conscience. Mais dans le même temps, il se sentait soulevé par quelque puissante allégresse. Et de cette joie profonde, immense, qui le pénétrait jusqu’à l’âme, il ne se rendait pas compte. Seulement, c’étaient des regards ravis qu’il jetait sur tout ce qui l’entourait, et il se disait :
– Comme Paris est devenu beau !… Que s’est-il passé ?… Tant de fois j’ai parcouru cette rue sans que pour cela mon cœur se mît à palpiter… C’est peut-être la joie du retour. Et puis j’ai failli mourir. C’est aussi un retour à la vie. Oui, ce doit être cela, car jamais je ne me suis senti aussi vivant, jamais les choses et les êtres ne m’ont inspiré pareille amitié… Il me semble que j’aime ces inconnus qui passent… Comme ils ont de bonnes figures souriantes !… Et combien charmantes ces Parisiennes légères, coquettes et si gracieuses ! Comme tout me semble beau ! Comme ces vieilles maisons paraissent adorablement rajeunies… Et ce ciel, ce joli ciel gris de Paris, quelle joie de le contempler maintenant !
Il entra dans une boutique sale, obscure, où se tenait un vieillard au regard soupçonneux ; il y était jadis venu avec Philippe de Ponthus : le maître de céans faisait trafic d’or et pierreries.
Clother lui offrit un de ses diamants, et le marchand lui en donna quinze mille livres en or qu’il lui compta séance tenante : il y gagnait à peu près autant, c’est-à-dire qu’il volait Clother avec impudence. Clother sortit de la boutique en se disant :
– Quel brave homme ! Si je puis lui rendre quelque service, je le ferai. Comme il me souriait, et comme, sans la moindre hésitation il m’a compté ces quinze mille livres qui sont une forte somme. Peut-être ce pauvre vieillard, dans sa bonté, a-t-il estimé trop cher ce diamant…
Oui, oui, c’était une ineffable allégresse qui le transportait ; oui, il trouvait un charme indicible à tout ce qu’il voyait, à tout ce qu’il entendait…
Va, va, Clother ! Cours à ta destinée. Va, gracieux et charmant chevalier, lève ton pur regard vers les sombres cieux qui te paraissent rayonnants, souris à cette foule qui t’ignore et ne comprendrait pas
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