Don Juan
présente demain. Et aussi dona Elvira, ma duègne. Et ma chérie, ma Léonor !… Canniedo est notre cousin, réfléchit-elle ; je suis surtout contente que celui-là assiste à notre union.
Au nom de Léonor, Juan Tenorio avait tressailli. Mais il dit :
– C’est pour cela que j’ai choisi Rodrigue le premier. Mais enfin, enfin ! je connaîtrai donc ta chère Léonor ! Dire que je n’ai pu la voir encore ! Comme, par tout ce que tu m’en dis, elle doit être aimable… et si belle !
– Belle ? fit Christa dans un sourire. Figure-toi l’aurore un jour de printemps, voilà le teint de Léonor. Figure-toi l’harmonie de nos harpes, voilà la voix de Léonor. Figure-toi le sourire d’un bouquet des plus jolies fleurs de prairie, voilà l’esprit de Léonor…
Juan Tenorio avait baissé la tête… Il écoutait…
– Que rêves-tu, cher Juan, que rêves-tu ? Dis-le-moi.
Il tressaillit encore et dit :
– Quant à ton père, voici : demain, après la cérémonie, je monte à cheval… Nuit et jour, autant que mes forces me le permettront, je voyagerai jusqu’à ce que j’aie rejoint Sanche d’Ulloa.
Une ombre voila le bonheur de Christa, comme ces nuages qui passent sur le soleil. Mais c’était une vaillante fille et le repos de son père passait, dans son cœur, avant ses propres joies.
– Nous séparer si longtemps ! dit-elle. Quelle douleur ce sera pour toi, mon Juan ! Et pour moi ! Mais va, je te comprends. Dieu te conduise et t’inspire les paroles qu’il faudra !
Ils étaient arrivés à une petite porte percée dans le mur d’enceinte et ouvrant sur une ruelle. Don Juan reprit :
– Tu as compris ? Quand je serai resté huit jours seulement près d’Ulloa, il m’aimera, j’en réponds ; il ne pourra plus se passer de moi. Alors, je lui avouerai tout : notre amour, notre faute, notre mariage. Et, m’agenouillant devant lui : « Noble seigneur, lui dirai-je, n’effacerez-vous pas la faute en bénissant votre fils ?… » Et il nous pardonnera, c’est sûr.
Et don Juan ne mentait pas.
C’est bien ainsi qu’il voulait agir. Tel était bien le plan qu’il était résolu à exécuter.
– C’est sûr, répéta Christa, toute frémissante de joie. Cher fiancé, ta résolution est comme ces baumes qui brûlent et font souffrir, mais qui guérissent la plaie. Je serai digne de ton courage, tu ne me verras pas pleurer à ton départ. Va, maintenant, car voici le jour… Non… reste encore… Oh ! ne pas te voir jusqu’à ce soir !
– Mais, tu sais, à midi, comme tous les jours, tu me verras passer sous tes fenêtres…
– Te voir un instant, de loin, c’est si peu ! Mais c’est égal, n’oublie pas. J’attends toujours midi avec tant d’impatience ! Allons, pars. On sonne la cloche pour le réveil des serviteurs. Adieu, cher Juan, Sainte Madone, dit-elle en joignant les mains. Notre-Dame de la Miséricorde, soyez assez bonne pour toujours donner bonheur, force et prospérité à Juan Tenorio, mon noble époux ! Et que béni soit-il pour tant de félicité qu’il daigne m’apporter en cette douce matinée, aube de ma vie !…
IV
LA FOUDRE TOMBE SUR LE PALAIS
Onze heures sonnèrent à l’horloge de la chambre de travail, dont les trois fenêtres donnaient sur la rue de las Atarazanas. C’était une très belle salle ornée de fauteuils à grands dossiers, de vastes armoires, de riches bahuts, magnifiques meubles sculptés dans ce goût imaginatif et brillant de la renaissance espagnole.
Au fond, dona Elvira, assise sur un tabouret de bois incrusté de nacre, tournait une à une les pages de son missel, en remuant les lèvres bien qu’elle ne sût pas lire.
Dans l’embrasure de la fenêtre du milieu, à l’ombre de la jalousie baissée, Christa filait au rouet et le léger bruit cotonneux de la roue précieusement ouvrée faisait dans la paix de cette salle un vague murmure plus apaisant encore. Et elle songeait :
« Encore une heure et il passera… il faut que d’ici là, j’aie tout dit à Léonor… Il le faut… Je ne dois pas attendre plus longtemps… Seigneur, donnez-moi le courage d’oser ! »
Assise à une table, Léonor s’appliquait à remplir une grande feuille de parchemin d’une malhabile et laborieuse écriture. Et, mêlés au cri guttural des limonadiers, à la joyeuse invite des marchandes d’oranges qui parcouraient la rue, on entendait parfois le grincement soudain de la longue plume
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