Don Juan
étoiles, aux parterres fleuris comme en été, aux oliviers tors, à son amante, indifféremment, le même regard avide et caressant, on eût deviné son indomptable assurance que tout ce qu’il y avait été mis pour lui, son inextinguible soif de joie et de bonheur, sa foi irréductible dans l’universelle beauté saisie, prise au vol, étreinte, dans chaque instant, dans tout et partout : et tu marchais avec une suprême confiance comme si le monde eût été ton bien, ô Juan Tenorio, ô don Juan !
– Et je ne m’en repens pas, disait Reyna-Christa. Le pourrais-je ? Est-ce que je sais seulement si j’ai une pensée à moi, un rêve où tu ne sois pas, une volonté qui ne soit pas la tienne ? Tu es venu, Juan, et tu m’as pris mon âme. Est-ce que je puis me repentir ?
– Il ne faut pas, vois-tu. Et pourquoi te repentirais-tu ? Quel blasphème ce serait, Seigneur !
– Mais, mon père ? soupira-t-elle en tremblant.
– Ton père ? Eh ! ton père te dira devant moi : « Tu as bien fait, chère Christa, tu as très bien fait d’aimer ce bon Tenorio qui t’aime tant ! »
– Est-ce bien sûr ? fit-elle, palpitante. Oh ! dis, es-tu bien sûr que Sanche d’Ulloa ne mourra pas du déshonneur que j’ai apporté à son nom ?
– Quel déshonneur ?… Tenorio vaut Ulloa, je pense, pour l’antiquité de la race et les hauts faits !
– Ce n’est pas cela, cher Juan. Je suis en faute. C’est un crime, tu le sais !
– Quelle enfant ! Quelle enfant tu fais ! Mais c’est qu’elle frissonne !…
– J’ai peur, murmura-t-elle, défaillante.
Il la saisit dans ses bras, la réchauffa de ses baisers, puis se recula pour la contempler.
– Comme tu es belle ! Mais vrai, comme tu es enfant ! Eh bien, écoute : Tu connais bien ce bon père franciscain, le révérend Dominique ? Je l’ai conquis, ce digne moine, et demain… demain il consent à nous unir. Ha ! Que dis-tu de cela ? Allons bon ! Voilà qu’elle pleure !
Elle était toute blanche de son bonheur : elle se tenait toute droite, sans un geste, et de ses yeux levés vers le ciel, les larmes, les douces larmes de ravissement, une à une, tombaient, et une à une, son amant les buvait. Et elle balbutiait :
– Demain ! Oh ! cher, cher Juan, comme tu es bon d’avoir pitié de moi ! Tu dis demain ? Quel jour béni ce sera demain ! Demain, je naîtrai une deuxième fois à la vie ! Oh ! le beau matin, mon cher Juan, cher époux de mon cœur ! oh ! tant de joie dans ce ciel pur et dans le ciel de mon âme !
– Mais… mais… mais, calme-toi ! disait-il en riant. Demain, sur le coup de midi, dans la chapelle de Saint-François, si révérée de ton vieux père, tu seras mon épouse devant les hommes, comme tu l’es déjà devant Dieu…
– Demain ! Mais, seigneur ! D’ici à demain, nous n’aurons jamais le temps de tout préparer ! s’écria-t-elle en riant à travers ses larmes. Comment trouver des témoins ? Y songes-tu, mon Juan ? Il faut des témoins…
– D’abord, dit-il gravement, nous en avons déjà un, le plus doux, le meilleur, Christa : ta mère ! Ta mère qui dort dans la chapelle de Saint-François, ta mère qui nous regarde et nous bénira…
Elle jeta un cri, tomba à genoux, et l’ineffable prière qu’elle murmura eût fait frissonner cette mère qu’elle invoquait… mais sa mère n’était pas là !
Et lui ?…
Lui !… Eh bien, il était sincère. Tout ce qu’il disait était scrupuleusement vrai !
Sa prière finie, Christa saisit les deux mains de Juan et les couvrit de baisers. Il la releva et la tint dans ses bras.
– Ensuite, dit-il, écoute : ils ne savent pas qui j’épouse. Ah ! je te jure que leur curiosité est à vif. Qui diable peut consentir à épouser cet écervelé de don Juan ? Je veux leur donner une bonne leçon. Vois-tu leur ébahissement, demain, quand ils te verront, quand je leur dirai : voilà, seigneurs, Juan Tenorio épouse la plus noble, la plus pure, la plus belle !
– Et qui sont-ils ? fit-elle avec une adorable impatience.
– Rodrigue Canniedo, le fils du sénéchal ; Luis, seigneur de Zafra ; Fernand, comte de Girenna ; don Inigo de Veladar, voilà les témoins. Les quatre plus beaux noms de Séville. Les fous veulent absolument me fêter aujourd’hui, et, une heure après midi, je dois dîner avec eux, chez Canniedo.
– Et je veux, dit-elle, que ma nourrice, ma bonne Nina, soit
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