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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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l'effet que produirait la vue de ces armes. Beutto, avec sept ou huit cavaliers, ferma la marche.
    Bientôt parurent des Gallas se glissant derrière les broussailles sur notre droite, pour nous intercepter le passage; nous les gagnâmes de vitesse, et ils disparurent sous bois. Nous profitâmes d'un bas-fond pour coucher furtivement dans le lit d'un torrent, et sous des détritus d'arbres, le cadavre de notre compagnon. Nos prudents ennemis, que nous décélaient parfois les accidents du terrain ou le bruit des cailloux roulant sous leurs pas, nous suivaient toujours, mais nous leur échappions. Abba-Boulla, du haut de son grand cheval blanc, ne cessait de braquer vers les points suspects sa carabine qu'il agitait comme un télégraphe. Notre chance, si heureuse jusque-là, nous donna l'espoir de rejoindre les nôtres. Chemin faisant, le blessé nous expliqua sa mésaventure. Le désir de tuer un Galla l'avait porté à s'embusquer dans le camp avec trois de ses camarades; mais la vue d'un bœuf égorgé, dont la belle viande était presque intacte, les ayant mis en appétit, ils s'oublièrent au point d'en faire des grillades qu'ils mangeaient autour du feu, lorsqu'un javelot, en venant se ficher dans la poitrine de l'un d'eux, fit détaler les trois autres.
    Ayant enfin tourné le ravin, nous arrivâmes à un endroit où l'arrière-garde venait d'avoir affaire avec des Gallas embusqués dans des grottes. Un jeune soldat gojamite, couché parmi sept ou huit morts, se souleva sur son bouclier, nous regarda silencieusement d'abord, puis nous dit:
    —Ô frères, soyez les bienvenus. Relevez-moi.
    Son calme, et la mâle élégance de sa pose me rappelèrent ces gladiateurs des arènes romaines, qui s'étudiaient à mourir de façon à mêler les applaudissements du cirque aux angoisses de leur agonie. À l'assaut d'une des grottes, une grosse pierre poussée par les Gallas lui avait brisé la jambe et l'avait envoyé rouler jusqu'au lieu où il était. Un des nôtres le mit sur son cheval.
    Cependant une troupe d'une vingtaine de Gallas se démasqua résolument et marcha sur nous. Le terrain étant trop mauvais pour les chevaux, nous les laissâmes avec les blessés au pied d'un rocher, et nous prîmes l'offensive avec une décision qui décontenança l'ennemi. La déroute commence par les yeux, a dit Tacite. Les Gallas furent culbutés, ils eurent deux hommes tués et plusieurs blessés. Le brave Beutto nous cria de ménager le terrain, et nous empêcha de céder à l'attraction de l'ennemi, dont la tactique était de nous éloigner de nos montures. Plus loin, une charge imprévue, exécutée par Beutto et quelques cavaliers, coûta encore à l'ennemi deux hommes et un cheval. Nous approchions de notre camp. Bientôt des femmes, occupées à ramasser du bois, jetèrent l'alarme, et nos maladroits ennemis, en voyant des cavaliers et des fantassins accourir à notre secours, disparurent une dernière fois.
    À peine rentré dans ma tente, le Dedjazmatch m'envoya souhaiter la bienvenue; il m'avait fait chercher partout pour le déjeuner; ma part était réservée, et il voulut que je la prisse devant lui.
    —Si tu m'eusses consulté, seigneur maraudeur, me dit-il, je t'eusse donné une compagnie de fusiliers, et tu eusses pu joncher d'ennemis ta promenade.
    Apprenant que le Chalaka Beutto était avec moi, il le fit mander. Celui-ci, pour excuser son acte d'indiscipline, insista sur la coïncidence fortuite qui l'avait heureusement mis à même de me ramener au camp. Le Prince se fit rendre un compte détaillé de notre matinée. Les familiers forcèrent l'entrée; on fit venir de l'hydromel, les trouvères accoururent, et l'on se mit gaîment à boire jusqu'au repas du soir.
    J'avais obéi un peu étourdiment au désir de voir par moi-même ce qu'on me racontait des Gallas guerroyant en enfants perdus. Notre campagne tirait à sa fin, les occasions allaient manquer, et j'avais cru pouvoir sortir un instant de la sécurité qui m'enveloppait auprès du Prince, pour y rentrer sitôt ma curiosité satisfaite. Mais aucun passage étroit n'ayant entravé sa route, l'armée, ce jour-là, avait fait son étape bien plus promptement que d'habitude, ce qui nous avait empêchés de rejoindre l'arrière-garde, quoique pendant plus de quatre heures nous eussions accéléré le pas. Les mœurs militaires indigènes tolèrent des escapades de ce genre; mais si, d'une part, elles dénotent un esprit d'aventure qui ne déplait pas aux

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