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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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toutes choses, des conséquences abusives, mais elle produit souvent aussi les effets les plus salutaires.
    En partant, le blessé me dit:
    —Tu m'as trouvé déchu, car je ne suis plus rien; mais je vaux quelque chose par mes parents; on compte parmi eux de véritables fils d'hommes, dont le bon vouloir est recherché. Tu m'as recueilli et tu as fait rentrer en moi mon âme, en me disant: «Voilà ta femme, tes enfants, ton frère; je te les donne.» Tu es, dit-on, d'un pays bien éloigné du Gojam, et tu marches devant toi à travers le monde; peut-être viendras-tu un jour chez nous. Si je vis, je te donnerai un cheval, des bêtes grasses, du miel parfumé; mes parents et tous mes voisins t'accueilleront comme un des nôtres, car tous dans nos pays apprendront ta conduite envers moi. Si je suis revêtu de la toge qui ne s'use pas (la terre), mes fils reconnaîtront ma dette. Quoi qu'il arrive, que le bien que tu nous fais retombe sur toi comme une pluie!
    La femme, qui était jolie, ajouta:
    —Sois protégé de Dieu, pour m'avoir rendu mes enfants, mon mari, mon pays et mon protecteur naturel, dit-elle naïvement en désignant son beau-frère.
    J'appris à cette occasion que, comme chez les Hébreux, la loi du Lévirat était en pleine vigueur parmi les Gallas, et que la femme du blessé était désormais considérée comme veuve.
    Pendant trois semaines, nous parcourûmes par petites étapes les woïna-deugas du Liben. L'armée allait au pillage: tantôt c'étaient tous les soldats, tantôt ceux du camp de droite, ou du camp de gauche, ou du camp de derrière seulement; et quand nous avions épuisé les ressources dans un rayon de quelques milles, nous portions nos tentes plus loin. Peu après le départ de l'avant-garde, les batteries des timbales annonçaient que le Dedjazmatch se mettait en marche; à ce signal, l'armée s'ébranlait en tumulte et évacuait rapidement le camp; cavaliers, fantassins, fusiliers, femmes, pages, bêtes de charge, porteurs de civières, fourmillaient sans ordre le long de la route; l'arrière-garde poussait les traînards. Un passage difficile se présentait-il, on mettait des heures entières à le franchir, au milieu d'accidents et de rixes de toutes natures; ces jours là, l'arrière-garde n'arrivait au camp qu'à la tombée de la nuit. À tel ou tel de ces passages, cinq cents Gallas, bien conduits, eussent pu amener notre déroute complète. La confiance était telle que, malgré la défense du Prince, de petites bandes s'engageaient imprudemment dans le pays sur les flancs de l'armée en marche, et que des maraudeurs se détachaient vers quelque point supposé inexploré; les Gallas les enlevaient quelquefois, comme aussi quelques traînards. De pareils actes d'indiscipline nous firent éprouver trois ou quatre fois des pertes sensibles; néanmoins, la moyenne ne dépassait guère une vingtaine d'hommes par jour; l'ennemi en perdait un nombre bien plus grand.
    Nous montâmes sur le deuga du Liben, et nous campâmes dans des plaines boisées où les Gallas nous inquiétèrent beaucoup. De jour, ils attaquaient de tous côtés nos soldats au pillage, et, la nuit, malgré les grands abattis d'arbres dont nous entourions notre camp, ils nous assaillaient de projectiles sur plusieurs points de notre périmètre et tuaient ainsi des hommes endormis, des femmes, des pages, des chevaux ou des mules. Un soir, ces attaques plus multiples et plus vives nous tinrent en éveil; il pouvait être onze heures, la lune était pleine et nos hommes escarmouchaient en dehors de nos défenses; mais la lune se voilant subitement, ils rentrèrent de peur d'être enlevés, car le haut Liben est réputé pour le nombre et l'adresse de ses cavaliers. Un Galla s'approcha de nos défenses, et, d'une voix sonore, demanda à être écouté:
    —Ô fils de Zaoudé! ô Guoscho! tu comprends notre langue, dit-il. Pourquoi viens-tu dans le pays des paisibles Gallas? Pourquoi aiguiser sur nous tes sabres et tes javelines? pourquoi faire tonner tes carabines? Le père du ciel lui-même ne fait pas autant de bruit que toi. Si nos compatriotes des frontières t'ont offensé, pourquoi te venger sur nous? Pourquoi quitter tes demeures en pierre, bien assises, pour promener jusqu'ici tes maisons de toile, incendier, dévaster notre pays, entraîner nos femmes, affamer nos bestiaux et pousser nos hommes au désespoir? Souviens-toi du sang de Zaoudé. Si tu ne crains pas que nous détruisions ton pays, crains Dieu;

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