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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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prisonniers que les Gallas du deuga, supposant que nous prolongerions notre séjour chez eux, avaient convoqué leurs compatriotes des districts éloignés, pour nous attaquer le lendemain avec des forces considérables, consistant surtout en cavalerie. Le Dedjazmatch transporta immédiatement son camp sur un premier versant de la descente de woïna-deuga, où le terrain étroit, courant entre un immense ravin, presque à pic, d'une longueur d'environ cinq milles, et la berge du deuga, haute d'environ huit cents mètres, nous mettaient à l'abri de la cavalerie ennemie. Le soir, il prévint par ban l'armée de se tenir prête à se remettre en marche au petit jour.
    Dès que notre arrière-garde évacuait nos campements, les Gallas, qui nous épiaient toujours, y entraient par petits groupes. J'éprouvai le désir d'en profiter pour les voir de plus près. Comme d'habitude, le Prince, en sortant à mule de sa tente, me donna le bonjour et m'invita du geste à le suivre. Mais je le laissai partir. L'armée s'écoula, et pour me soustraire aux perquisitions que l'arrière-garde faisait dans le camp avant de le quitter, je me retirai derrière un grand rocher avec quatre de mes hommes: l'un conduisait mon cheval, plus embarrassant qu'utile; l'autre portait ma carabine; le troisième, mon bouclier et ma javeline; mon drogman, un peu à contre-cœur, faisait le quatrième. Aux timbales, aux trompettes, aux flûtes, aux cris, à tout le vacarme de l'évacuation, succéda un lourd silence, interrompu seulement par les oiseaux encore mal rassurés, qui, d'intervalle en intervalle, s'encourageaient timidement à reprendre leurs chants du matin. Quoique nous ne pussions rien découvrir, un instinct, qui depuis m'a souvent servi dans des circonstances analogues, m'avertissait que le terrain devenait de plus en plus hostile. Soudain, nous entendîmes le cri galla: Hallelle! hallelle! signifiant: Frappe! tue! et nous vîmes trois hommes fuyant entre les huttes et serrés de près par douze ou quatorze Gallas. Au même instant sortirent d'une embuscade des cavaliers qu'à leurs housses rouges nous reconnûmes pour des nôtres. À leur vue, les Gallas se détournèrent pour gagner le grand ravin. Nous essayâmes les uns et les autres de leur couper la retraite, mais ils avaient trop d'avance. Arrivé un des premiers sur le bord, je pus les voir dévaler en bondissant, comme des chamois sur les blocs éboulés qui hérissaient la berge; ils s'arrêtèrent à une portée de fusil et nous crièrent des injures.
    Nos gens de l'embuscade nous rejoignirent. C'était un chalaka ou chef de millier nommé Beutto qui, avec une vingtaine de cavaliers, avait voulu, courir aventure; il me sauta au cou en riant aux éclats et me reprocha de ne lui avoir pas communiqué mon dessein.
    Des trois hommes poursuivis par les Gallas, l'un mortellement blessé au mollet, et un autre le ventre ouvert, gisaient à terre; le troisième avait eu le bonheur d'échapper à plusieurs javelines qu'on lui avait lancées, et qui, fichées dans le sol de distance en distance, jalonnaient la ligne en zig-zag qu'il avait suivie dans sa fuite. Un quatrième, que nous n'avions point vu, était sans vie et affreusement mutilé à côté d'un feu sur lequel fumaient des grillades. Les deux blessés nous suppliaient de ne point les abandonner; mais notre position s'aggravait d'instant en instant. Les Gallas surgissaient déjà en nombre sur les crêtes du deuga dominant la droite de notre route vers l'armée; ils pouvaient nous compter; notre arrière-garde devait être loin, et pour la rejoindre, nous avions à suivre un terrain buissonneux, favorable aux surprises. Le soldat blessé au mollet cessa brusquement ses supplications, roidit ses membres et expira. L'autre criait:
    —Ô fils d'hommes, au nom de la Vierge, ne me laissez pas ici; en moi vous rachèterez vos âmes; saint Georges veillera sur vous jusqu'au camp!
    Un d'entre nous fit observer que ce serait une belle prouesse que d'empêcher l'ennemi de mutiler le mort et d'achever le blessé; et vite, de sa ceinture, on lui fit un bandage pour contenir ses entrailles, puis on l'attacha en selle; le corps de son compagnon fut mis en travers sur un autre cheval. Mais cela nous avait fait perdre quelques minutes.
    Nous partîmes, en appuyant notre gauche le long du ravin. Ma carabine et celle d'un de nos compagnons, nommé Abba-Boulla, étant les seules armes à feu de notre troupe; on nous mit en tête, comptant sur

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