Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
enfant, laisse-nous seuls.
Elle ne voulut plus entendre parler de Tessemma. Ce n'était point, disait-elle, un compagnon d'enfance qu'elle cherchait pour sa fille; Birro, au moins, avait l'air d'un fils d'homme, et, pour prouver au Dedjazmatch son désir d'allier leurs maisons, elle consentait à prendre Birro pour gendre, à condition que sa naissance fût solennellement légitimée, et que le droit d'aînesse lui fût conféré.
Le Prince, qui aimait beaucoup Tessemma, représenta le rang de la mère, et l'injure qu'il leur ferait à tous deux; mais ce fut en vain.
Rentré chez lui, il réunit ses conseillers, qui décidèrent qu'un refus serait d'autant plus imprudent qu'ils étaient pour le moment à la merci du Ras. Ce dernier, sur la proposition de sa mère, accepta cette substitution; il nomma Birro Balambaras, et lui donna la cotte d'armes en soie, afin qu'il relevât également de lui et du Dedjazmatch. On prit jour, et en présence du Ras et d'un grand concours de seigneurs du Bégamdir et du Gojam, d'ecclésiastiques, d'hommes de loi et de clercs, tous réunis chez la Waïzoro, le Dedjadj Guoscho reconnut par serment Birro pour fils, lui conféra le droit d'aînesse, demanda pour lui la main de la Waïzoro Oubdar, et un des grands vassaux, s'avançant au nom du Ras et de la Waïzoro Manann, prononça les formules qui constituent les accordailles. Les apports mutuels furent énumérés: le Ras donna à sa sœur la seigneurie de quelques villages dans le Bégamdir; le Dedjadj Guoscho donna à son fils un nombre égal de villages en Gojam.
Le Ras, en regagnant sa maison, s'égaya avec ses familiers sur le compte de son nouveau beau-frère; il le traita de nicodème, de dadais, et dans la suite ne le désigna même plus autrement.
La Waïzoro Manann, tout entière à son œuvre, garda le fiancé auprès d'elle. Au bout de quelques jours, elle lui confia sa jeune épouse, et, malgré ses autres préoccupations de toute nature, elle se complut pendant quelques semaines à combler de soins le jeune ménage, et s'attacha de plus en plus à son gendre, dont les déférences contrastaient avec l'insubordination de ses propres fils. Elle ne tarda pas à obtenir pour lui l'investiture de l'Enneussé et de l'Enneufsé, districts du Gojam, dont la seigneurie entraînait le grade de Fit-worari de l'armée du Ras, l'exercice du droit de haute justice et le privilége de marcher précédé de porte-glaives, d'un gonfanon et de douze timbaliers. Après être resté encore deux mois auprès de sa belle-mère, le nouveau Fit-worari partit avec sa femme pour son gouvernement.
Malgré cette transition si brusque de la position la plus dépendante à l'exercice d'une autorité si étendue, Birro administra ses vassaux avec une fermeté telle, qu'il fit de ses districts, réputés pour leur insécurité, le pays le plus sûr de l'Éthiopie. Selon le dicton indigène, une jolie fille pouvait y cheminer, seule et partout, tenant sur la main une écuelle pleine de pépites d'or. Mais, afin de soudoyer les gens de guerre, qu'il rassembla en nombre tout à fait disproportionné avec l'importance de son gouvernement, il dut aggraver les impôts, et ses sujets se rendirent plusieurs fois à Dabra Tabor, pour réclamer auprès du Ras; la vigilante Waïzoro Manann les faisait éconduire brutalement.
Bientôt, Birro Aligaz, un des grands vassaux du Ras, Dedjazmatch de l'Idjou et d'une partie du Lasta, s'étant déclaré en rébellion, le Ras convoqua par ban son armée à Dabra Tabor. Le Fit-worari Birro fit son entrée à la tête de plus de 6,000 hommes, et, avec un appareil militaire qui éveilla les jalousies des grands vassaux du Ras, mais qui flatta l'orgueil de sa belle-mère; dans ce dernier but, il avait amené la Waïzoro Oubdar en campagne. Il la faisait précéder par ses timbaliers, son parasol et son gonfanon, ses fusiliers et ses porte-glaives, contraignait ses seigneurs et cavaliers de marque à former son escorte, et ses bandes de rondeliers d'élite à la suivre, centeniers et joueurs de flûte en tête. Le Ras lui-même ne marchait pas avec tant d'apparat. Quant à lui, accompagné seulement de quelques cavaliers, il allait se confondre dans l'escorte de sa belle-mère, afin, disait-il, d'être plus à portée de ses ordres. Si épris qu'il pût être de la Waïzoro Oubdar, les sentiments qu'il affichait étaient tellement ridicules par leur exagération, que ses beaux-frères, les seigneurs et même les soldats
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