Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
prix insignifiant, l'engraissa et fut contraint de le revendre à un riche seigneur. Celui-ci en fit don, comme d'une merveille, à un ancien polémarque du Gojam qui attendait dans la ville d'asile de Mota en Enneussé que sa fortune se relevât. Birro Guoscho, en prenant possession du gouvernement de l'Enneussé entendit parler de ce cheval, et le propriétaire ayant refusé de le lui vendre, Birro fit naître un prétexte et se l'appropria. Le clergé de l'asile prit fait et cause pour le réfugié et expédia des messagers à Dabra Tabor pour réclamer auprès du Ras. Birro les fit intercepter et battre; d'autres leur succédèrent; le Ras ordonna la restitution, mais en vain. Le Dedjadj Guoscho intervint sans plus de succès, et le moment d'entrer en campagne arrivant sur ces entrefaites, Birro partit avec son cheval qu'il nomma Dempto ( retentissant ).
Si je me suis étendu sur des particularités au sujet de ces deux serviteurs du Fit-worari, Birro Guoscho, c'est que Dempto, si bien assorti avec son maître, devait justifier le nom ambitieux qu'il en avait reçu, et que Tiksa Méred, à cette époque, le principal ouvrier de la fortune de Birro Guoscho, devait en être une des plus éclatantes victimes.
Il se faisait tard; Birro cuvait encore ses colères, lorsque le soldat qui gardait extérieurement la porte, annonça discrètement un envoyé du Ras. Birro perdit contenance.
—Vite, vite, dit Méred, que Monseigneur se couche sur son alga et fasse le malade!
En même temps, il poussait la braisière auprès de l'alga, et quand son maître fut convenablement étendu, le visage tourné du côté de la muraille, il introduisit le page du Ras en lui recommandant de parler bas. Le message était ainsi conçu: «Comment as-tu passé la soirée? J'ai envie de revoir ton Dempto; envoie-le moi donc. Les yeux se rassasient vite de l'objet de nos fantaisies, et si dans quelques jours, tu regrettes encore ton cheval, je verrai à te le rendre.»
Birro, s'attendant à cette demande, avait résolu de s'exposer à tout plutôt que de céder Dempto.
—Va, je te prie, t'incliner de ma part devant Monseigneur, répondit-il à Méred d'une voix affaiblie, et dis-lui que j'espère pouvoir aller demain en personne lui faire hommage de mon cheval. Allez, mes frères, et dites-lui l'état où vous me voyez.
Le Ras ne voulait pas attendre au lendemain; mais l'adroit Méred lui représenta si vivement l'indisposition de son maître, la satisfaction qu'il éprouverait à lui offrir son présent en personne, et il le cajola enfin si bien, qu'il obtint le délai demandé et le laissa même de belle humeur.
Craignant l'indiscrétion des gens de sa maison, parmi lesquels il pouvait se trouver quelque espion du Ras, Birro contrefit le malade toute la nuit. Le lendemain matin, il admit ses gens à déjeuner, parla de son bon suzerain Ali, de Dempto, du successeur qu'il devait lui donner, et, dans l'après-midi, il se présenta, vêtu d'une toge de cérémonie, à la porte du Ras, avec la pensée de gagner du temps, pendant qu'il ferait agir sa belle-mère.
Quel que soit le rang qu'on occupe, à moins de jouir des petites entrées, il est d'usage d'attendre qu'un huissier vous annonce et vous introduise. Birro voulut pénétrer tout d'abord; les huissiers, agacés par son arrogance ou pressentant peut-être sa disgrâce d'après des bruits de l'intérieur, le repoussèrent de la main, et, d'une façon ou d'autre, sa toge se trouva déchirée. Birro se retira dans un état d'irritation d'autant plus grande que les nombreux seigneurs, rassemblés dans la cour, s'entreregardaient en souriant de sa déconvenue. Il envoya prévenir sa belle-mère de l'affront public qu'il venait de subir, et celle-ci, pour couvrir cet échec et montrer qu'elle improuvait la conduite de son fils, improvisa un banquet dont Birro eut tous les honneurs. De son côté, le Ras Ali affecta de réunir pour une collation des seigneurs qu'on savait hostiles au Fit-worari. La soirée se passa ainsi. Vers minuit, Birro fit discrètement rassembler ses cavaliers à une petite distance de Dabra Tabor, et il partit avec eux pour son gouvernement. Ce départ furtif constituait une rébellion. Le Ras se plaignit ouvertement de la partialité de sa mère et la rendit responsable du mépris de son autorité, quoiqu'elle eût, pour dissimuler sa complicité, refusé à Birro de lui laisser emmener sa femme. Le Ras fit garder celle-ci par ses eunuques, afin de prévenir
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