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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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pas oublier qu'elle errait souvent, que les affaires étaient presque toujours dirigées par des minorités, et qu'en cette circonstance du reste, l'expérience, la raison et une conscience éclairée ne pouvaient dicter d'autre conseil que le leur.
    Le Prince balança quelques jours entre les deux partis à prendre. De tous côtés lui vinrent des avis dans l'un et l'autre sens, car le Damote et le Gojam s'étaient passionnés sur cette question; de plus, les chefs de l'Agaw-Médir, qui depuis la mort de Conefo, semblaient vouloir se rallier à lui, lui transmettaient également leurs avis. De son côté, Birro lui expédiait messager sur messager pour le prémunir contre les donneurs de conseils. En dehors de toute ambition personnelle, disait-il, il ne pouvait comprendre qu'on hésitât à accepter la nouvelle investiture, ne fût-ce que pour empêcher les malveillants d'insinuer que la crainte de l'armée de Conefo influait sur leur décision; il y allait de la gloire de son père, de la réputation de leur maison; il lui demandait de lui confier seulement la moitié de son armée, et il ferait obéir Ilma de gré ou de force. Ali nous tend des piéges, ajoutait-il, à nous d'avancer et de les rompre. Quant à moi, je me garderai si bien en Dambya que toutes ses perfidies tourneront à sa confusion.
    Le Dedjadj Guoscho se décida à annoncer aux fils de Conefo la nécessité où il se trouvait d'accepter pour Birro l'investiture de leurs provinces, et il leur fit en même temps les propositions les plus caressantes. Leur conseil et leur armée répondirent par un seul cri de défi, et il se décida à prendre immédiatement la campagne.
    Le même soir, il me dit:
    —Nous allons probablement avoir une grosse bataille à livrer près de Gondar.
    —Que Dieu vous y vienne en aide! lui répondis-je.
    —Pourquoi m'isoles-tu dans un vœu pareil? Compterais-tu rester en arrière?
    Je lui demandai en riant si j'étais son lige, pour mettre mon corps dans toutes ses entreprises.
    —Tu es pour moi mieux que vassal et lige; un lien de Dieu s'est fait entre nous, et si j'en croyais le désir que j'ai de te complaire, c'est toi qui serais mon suzerain. Mais tu ne songes pas, j'imagine, à me quitter un jour de combat?
    —Non, certes, Monseigneur, lui répondis-je.
    En effet, mes sympathies pour ce Prince s'étaient confirmées de plus en plus. Depuis que je m'exprimais en amarigna, par courtoisie et pour me conformer aux usages, je l'appelais Monseigneur ; je m'aperçus bientôt que ce titre n'était pas un mot vain dans ma bouche et qu'il signifiait en réalité que j'étais arrivé insensiblement à l'aimer assez pour désirer me lier à sa fortune. Sans avoir renoncé à mon pays, je jugeais que la rude vie que je m'essayais à mener me donnerait quelques résultats utiles, et que ma présence auprès d'un Prince d'un esprit élevé et désireux de connaître les progrès de l'Europe, pouvait produire quelque bien. Comme je n'avais aucun intérêt matériel à cette cour et que je passais pour être en crédit, les mécontents et les victimes s'adressaient à moi déjà pour faire aboutir leurs plaintes; j'étais bien jeune, et, comme ceux de mon âge, l'idée de bannir l'injustice me séduisait. D'ailleurs, pour étudier ce pays si curieux, nulle position ne pouvait être meilleure que celle que me faisait le Prince, et tout concourait à m'engager de plus en plus envers lui. Je songeais bien à mon foyer de France, mais je laissais aux événements et à Dieu le soin de m'y ramener.
    Nos préparatifs de départ se faisaient en toute hâte; mais l'état de santé de la Waïzoro Sahalou les suspendit tout à coup. Quoique demeurant à côté d'elle, j'ignorais qu'elle fût malade, ses messages journaliers n'ayant point été interrompus; aussi, fus-je très-surpris quand une matrone d'un rang élevé, accompagnée de plusieurs dames, vint m'apprendre qu'elle était à la mort et me demander si je n'avais pas quelque remède pour elle. Le Prince avait autorisé cette démarche; je me rendis auprès de lui et je lui répétai, comme au sujet du Lidj Dori, que je n'étais rien moins que médecin.
    —C'est égal, tu l'es plus que nous; va la voir, et tu me diras ton avis.
    J'entrai donc chez la Waïzoro. Une soixantaine de femmes et de filles de notables pleuraient, assises devant le rideau d'une alcôve. On me fit place, et je passai derrière le rideau. Sur un alga encombré de toges blanches, gisait la Waïzoro

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