Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
de sa femme, qui avait complètement repris ses sens, et qui le priait de se rassurer sur son compte.
La Waïzoro eut encore quelques évanouissements, mais la semaine n'était pas écoulée qu'elle entrait en convalescence. Ses gens ne voulaient plus rien faire sans mes avis; le digne aumônier venait à tout propos me chercher jusque chez le Prince, pour me mener auprès d'elle, et comme je parlais assez couramment l'amarigna, je pus goûter les charmes de la conversation de cette femme, qui eût été remarquable en tout pays.
Les préparatifs de départ furent repris; les notables de la frontière chargés d'intercepter les communications avec le Dambya, nous firent dire de nous hâter, que le vide fait dans les rangs d'Ilma par la désertion d'une partie des troupes de l'Agaw-Médir se comblait rapidement, grâce aux volontaires venant de tous les points du Bégamdir. Le Prince fit ses adieux à sa femme, et sans avoir publié le ban d'usage, il alla camper à quelques milles de Goudara.
Quelque sévères que soient les princes éthiopiens, ils en sont ordinairement réduits, pour réunir leurs troupes, à publier plusieurs bans; de plus, des bandes entières s'arrangent pour ne rejoindre que la veille de la bataille, afin de vivre jusque-là, à leur aise, aux dépens de l'habitant. En partant sans publier de ban, le Dedjazmatch comptait jeter l'alarme et hâter ainsi la réunion de ses soldats, très-enclins à s'attarder et à mal faire, mais trop attachés à sa personne pour le laisser courir seul au danger.
La Waïzoro Sahalou avait demandé à son mari de me laisser auprès d'elle, et pour tout concilier, j'étais convenu de rejoindre l'armée à sa troisième ou quatrième étape; en conséquence, je restai auprès de la Waïzoro Sahalou cinq jours de plus, et je pus apprécier davantage cette femme distinguée. Son expérience des affaires eût été surprenante chez une personne vivant comme elle dans la retraite rigoureuse imposée aux personnes de son rang, si l'on ne savait que même dans cet état, les femmes ne perdent rien de ce qui se fait dans le monde, non plus que de leur influence. Les faits contemporains, leurs causes et leurs effets, s'étaient classés dans sa mémoire avec un ordre merveilleux. Son intelligence vive, une diction claire, élégante et un charme particulier dans la prononciation rendaient ses récits des plus attrayants. Elle me raconta les événements dans lesquels nous étions engagés, la biographie des principaux personnages de la cour d'Ali, de celle de Conefo, de celle de son mari, et ses appréciations témoignaient d'une sagacité et d'un jugement des plus remarquables; aussi m'initiait-elle, comme en se jouant, aux intérêts les plus sérieux du pays. Elle passait pour avoir reçu une très-bonne éducation, lisait couramment son psautier et les évangiles en langue guez, et se plaisait à discuter sur les diverses interprétations du texte; elle lisait également la Vie des Saints en guez. Sa connaissance de cette langue morte lui donnait pour l'amarigna le même avantage que la connaissance du latin et du grec donne à ceux qui parlent les langues qui en dérivent. Réduite à communiquer avec tout le monde par messages et à traiter de toute sorte d'affaires avec des gens de tous les rangs, elle avait au plus haut point l'art de saisir le cœur d'une question et de condenser sa pensée dans une forme lucide et frappante. Ses jeunes filles de service, habituées à transmettre ses messages, acquéraient une distinction de langage et de manières, qui valait à la plupart d'entre elles, quoique appartenant à des familles pauvres, des mariages avantageux. Sa religion était éclairée, et sa charité s'exerçait continuellement. Elle avait parmi les femmes la réputation de filer admirablement et d'exceller dans l'art de la cuisine, de composer des parfums, de faire l'hydromel et de restaurer, par un régime intelligent, les malades ou les gens épuisés par la misère ou les fatigues. Sans quitter son alga, elle communiquait son activité aux nombreux serviteurs, hommes et femmes, qui composaient sa maison, et dont quelques-uns seulement avaient le droit de se présenter devant elle; elle inspirait à la fois la crainte et l'affection tant dans son intérieur qu'au dehors. Vive quelquefois jusqu'à l'emportement, elle prévenait les rancunes en reconnaissant ses torts avec une rare facilité. L'injustice la révoltait, mais son mari avait eu à lutter
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