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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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Sahalou, inanimée, les yeux fermés, la tête sur un oreiller d'ébène. À son chevet, dans la ruelle, son aumônier, vieux prêtre à barbe blanche, était debout, une petite croix à la main, et une jeune femme d'une éclatante beauté, parente préférée de la Waïzoro, agenouillée par terre et accoudée sur la couche, lui tenait la main, qu'elle baignait de larmes. Au pied de l'alga se tenaient une naine, laide, difforme, toute bouffie de chagrin, et deux petites filles de service, immobiles, interdites, qui semblaient attendre quelque ordre de leur maîtresse. La sueur froide qui perlait sur son front, la respiration faible et crépitante, la décoloration des lèvres, le pouls rare et intercadent, tout m'impressionna péniblement, car j'aimais cette princesse, parce qu'elle était la femme de Monseigneur, parce qu'elle faisait incessamment le bien autour d'elle, et parce qu'elle avait eu pour moi les attentions les plus délicates.
    M'étant renseigné de mon mieux, j'allai trouver le Prince et lui proposai d'employer un remède énergique, mais qui offrait quelque danger à cause de notre incertitude sur la nature de la maladie.
    Et comme il s'en remettait à mon jugement, je lui fis remarquer que si un malheur arrivait, j'en serais accusé.
    —Peut-on empêcher les fous de médire? reprit-il. Une pareille inquiétude m'étonne de ta part, car s'il s'agit pour moi de ma femme, pour toi, ne s'agit-il pas d'une véritable mère? Va, hâte-toi d'agir, et que Dieu nous aide!
    Je fis immédiatement fabriquer sous mes yeux des balances par l'orfèvre du Prince: un mince fil de cuivre servit de fléau; deux petites rondelles en papier, suspendues avec des fils de soie, complétèrent l'instrument, et le remède, minutieusement pesé, je le délayai dans un peu d'eau.
    Le Prince ayant mis le principal eunuque sous mes ordres, je fis d'abord sortir toutes les femmes qui encombraient la maison; l'aumônier, la parente favorite, la naine, trois ou quatre petites filles de services et un ancien Fit-worari, proche parent de la Waïzoro, furent les seules personnes dont je tolérai la présence. La malade étant toujours insensible, on dut lui desserrer les dents pour lui faire prendre la potion. Son parent fit observer que je devrais, selon l'usage, goûter la boisson avant de l'administrer, mais il n'osa pas insister. Quelques symptômes heureux se manifestèrent, mais se dissipèrent bientôt; des frictions énergiques les firent reparaître, et je courus chez le Prince. Pendant que je lui faisais mon rapport, nous entendîmes des éclats de pleurs, mêlés au début d'une de ces thrénodies qu'on chante aux funérailles. Le Prince tressaillit et m'interrogea du regard.
    —Non, non, Monseigneur, cela n'est pas, lui dis-je; je ne vous l'aurais pas caché.
    J'envoyai des huissiers, des pages, des eunuques tous ceux que je pus trouver, pour disperser les thrénodes et affirmer que la princesse allait mieux; la cloche de l'église commençait même à sonner le glas, mais on étouffa tous ces bruits de sinistre augure. Cependant, de retour auprès de la malade, je perdais moi-même tout espoir, lorsqu'enfin elle ouvrit les yeux. Peu à peu, comme des profondeurs de sa léthargie, l'intelligence remonta dans son regard, qu'elle arrêta sur moi, en disant lentement:
    —Tiens! Mikaël!... J'ai donc été bien mal?
    Bientôt, elle donna d'une manière plus active et continue les preuves de son retour à la vie; elle chercha à rassurer son aumônier et ses suivantes, se fit soulever, demanda l'absolution et me dit, pendant qu'on la remettait sur sa couche:
    —Hélas! Mikaël, que nous sommes peu de chose!
    Le prêtre pleurait de joie, bénissait sa pénitente, et la bénissait encore, les autres se répandaient en actions de grâces. Je dus les engager à contenir leurs manifestations, par ménagement pour leur maîtresse; j'indiquai quelques soins à donner, et malgré l'opposition aimable de la malade, je la quittai pour aller confirmer au Prince l'heureuse nouvelle que je lui avais déjà envoyé porter par un eunuque.
    La nuit était avancée; beaucoup de gens veillaient sur la place, accroupis autour de grands feux; la bonne nouvelle circulait déjà parmi eux, et je jouis à mon passage de l'heureuse impression qu'elle leur causait, car la Waïzoro était aimée de tous.
    Je trouvai le Prince, son chapelet à la main; sa physionomie s'éclaira de joie, lorsque je lui dis que je lui apportais le bonsoir de la part

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