Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
expédition lointaine, et un nombre bien plus considérable pour une campagne de peu de durée, comme celle que nous entreprenions. Il allégua qu'il avait eu trop peu de temps pour préparer ses compatriotes au brusque changement de leur politique.
Selon quelques traditions, le peuple Agaw aurait possédé jadis la majeure partie de l'Éthiopie; il se trouve circonscrit aujourd'hui dans la province de l'Agaw-Médir, contiguë au Damote, et dans une autre province au sud-est, voisine du Lasta, et connue en Éthiopie sous le nom d'Agaw tout court. Les Agaws parlent, outre l'amarigna, une langue complétement différente, dont le nom ethnique est Hamtonga; mais, comme les deux provinces ne communiquent entre elles que très-rarement, cette langue a formé deux dialectes distincts. Il est à croire que le petit peuple Bilène qui habite à l'Est, sur les bords de la mer Rouge, est encore un tronçon du peuple Agaw, car les traditions des Bilènes mentionnent leur expulsion de la haute Éthiopie, et mon frère, en étudiant le réseau de langues et dialectes si nombreux parlés en Éthiopie, a découvert que les Bilènes parlent aussi un dialecte de la langue hamtonga.
Pour mon compte, je ne connais que les Agaws de l'Agaw-Médir. On trouve parmi ceux-ci beaucoup d'hommes et de femmes dont l'expression du visage, les traits et les yeux, légèrement relevés vers les tempes, semblent dénoter une provenance étrangère aux races qui les avoisinent et vis-à-vis desquelles, du reste, ils vivent en état de défiance constante. Établis dans un pays fertile et verdoyant, un des plus boisés de l'Éthiopie, ils s'adonnent de préférence à l'élève des chevaux et des bestiaux, qui alimentent les marchés de l'Atchefer, du Dambya, du Kouara, de Gondar, du Fouogara, du Bégamdir, et jusqu'à ceux du Samen. Ils sont médiocres fantassins, mais très-bons cavaliers, et leurs habitudes sont plutôt pastorales qu'agricoles. Unis entre eux par le lien de leurs coutumes locales et celui d'une langue incomprise par leurs voisins, ils aiment passionnément leur pays, et leur insubordination à des chefs étrangers à leur race est notoire. Selon les remaniements politiques, leur province est annexée tantôt au gouvernement du Dambya, tantôt à celui du Damote, et fréquemment le titulaire est contraint de la réduire par les armes. Le Dedjadj Conefo dut faire contre eux plusieurs campagnes; à force de cruautés, il obtint leur soumission; mais, dès sa mort, ils refusèrent l'hommage à ses fils. Les Agaws, très-belliqueux dans leur pays, semblent perdre leur énergie dès qu'ils s'en éloignent. Le Dedjadj Guoscho me disait que, quel que fût leur nombre, il comptait peu sur eux; du reste, leurs antécédents sont tels que, même sur le champ de bataille, on n'est pas assuré de leur concours: le Dedjadj Zaoudé, père du Dedjadj Guoscho, s'étant laissé entraîner par eux dans une guerre qui les concernait, les vit, au commencement d'une bataille, passer à l'ennemi au nombre de plus de 5,000 cavaliers. Enfin, les Agaws, très-fidèles aux engagements pris entre eux, ne se regardent pas comme liés par ceux qu'ils prennent envers les étrangers, et ils témoignent en tout par leur conduite à l'égard de leurs voisins du Metcha, du Damote et du Dambya, d'une incompatibilité qui justifie la tradition d'après laquelle ils seraient un peuple autochthone, dépossédé par les races qui prévalent aujourd'hui en Éthiopie.
Après six étapes fort courtes, nous débouchâmes, par le col de Dinguil-Beur, dans un pays ouvert. On disait que le Lidj Ilma s'avançait contre nous. De plus, les paysans se montrant hostiles à nos traînards et à nos éclaireurs, nous dûmes mettre un peu d'ordre dans notre marche; car, bien que moins encombrés de femmes et de bagages que durant la campagne contre les Gallas, nous l'étions encore assez pour qu'un petit corps de cavalerie bien conduit pût nous mettre en déroute. Le Dedjazmatch se contenta de former une tête de colonne consistant en 2,500 à 3,000 hommes, en tenue de combat, et Birro, au lieu de nous précéder de plusieurs milles, ne marcha plus qu'à quelques centaines de mètres en avant.
Nous arrivâmes ainsi à la petite ville d'Ismala, dans l'Atchefer. La nuit, le pays environnant parut tout constellé des feux que chaque habitant allume devant sa demeure à l'occasion de la Maskal , ou fête de l'invention de la Croix. Les Éthiopiens la placent au 17 du mois de
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