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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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proherbe; on en délaie la farine jusqu'à la consistance d'une crème, et, après l'avoir laissée fermenter, on en verse une mesure dans un four de campagne, en terre cuite, très-peu profond et dont la sole est de la même dimension que celle de la corbeille à pain. Ce genre de confection donne un pain de forme circulaire, d'un centimètre à peu près d'épaisseur, très léger, spongieux, sans croûte, rempli d'œils et flexible comme une crêpe.
    Excepté les jours de grand repas, le Dedjadj Birro préférait être servi à la corbeille. Croyant que ces apprêts étaient pour moi seul, j'alléguai mon peu d'envie de manger, et Birro fit signe de tout enlever. Bientôt après survint un homme dont l'entrée fit sensation: les chefs se levèrent et ne se rassirent qu'après lui; Birro l'accueillit amicalement et me dit:
    —Mikaël, voici mon chef d'avant-garde; aime-le; c'est Tiksa-Méred, un de mes meilleurs amis.
    Et, s'adressant à son Fit-worari:
    —Toi, Méred, aime Mikaël comme un autre moi-même.
    C'était la première fois que je voyais ce favori déjà célèbre; sa physionomie mobile ne me parut que franche à demi.
    —Je viens savoir, dit-il, ce qu'a aujourd'hui Monseigneur, qu'il a renvoyé sans y toucher son déjeuner?

—C'est Mikaël qui l'a ainsi voulu, dit Birro. Je resterai jusqu'au dîner sur un burilé d'hydromel et un bout de grillade que j'ai pris ce matin; quand il aura faim, nous mangerons tous ensemble.
    Comprenant alors la faute que j'avais faite, je m'empressai de mettre mon appétit à sa disposition.
    —Vous autres, là-bas! s'écria-t-il, qu'on nous serve!
    Quand il eut mangé, il distribua de sa main aux soldats ce qui restait de la panerée; et le boire se prolongea au milieu de conversations animées.
    Mes gens furent logés chez des notables, et l'on dressa pour moi une tente à côté de la hutte du Prince.
    —Fils de ma mère, me dit-il, je sais que tu n'aimes pas dormir comme nous côte à côte avec tes amis; tu seras seul quand tu le voudras, mais il faut que tu soies assez près pour que je puisse m'assurer que tu dors en paix. Si des rêves omineux viennent te troubler, moi, ton frère, je serai là, auprès de toi; et quand les soucis chasseront mon sommeil, j'irai me rasséréner à tes côtés.
    Je passai ainsi quelques semaines dans l'intimité orageuse de ce Dedjazmatch. La nuit, il m'appelait ou venait me réveiller pour m'entretenir de ses regrets, de ses craintes ou de ses espérances: il me disait qu'il voulait tourner son père contre le Ras, dont il redoutait de devenir captif, et il me demandait mon avis sur la fidélité de tel ou de tel de ses chefs. Il parlait religion, philosophie, guerre, poésie, chasse, médecine; d'amour fort peu. À deux ou trois heures du matin, il prétendait quelquefois que nous avions faim et il ordonnait d'égorger un mouton gras; il voulait manger des grillades et il faisait fouetter un page, un soldat ou une femme de service dont les allures à demi endormies lui paraissaient trop lentes. D'autres fois, son chapelet à la main, il venait furtivement s'asseoir sur mon alga et, récitant ses prières, il me réveillait de la main tout en me faisant signe de faire silence. Son chapelet terminé, il me disait:
    —Je ne puis te voir dormir quand je veille. Tout ne doit-il pas être commun entre nous? Nous devrions mourir le même jour. Puis, vois-tu, je me méfie de tous mes hommes; ma vie n'est qu'un long semblant; j'ai besoin de parler à cœur ouvert. Attristons-nous sur moi.
    Quelquefois il cessait d'égrener son chapelet, son regard devenait méditatif, et, après être resté silencieux, le front dans la main, oubliant ma présence, il se levait soudain, commençait une prière, mais quittant la formule usitée, il s'adressait à Dieu en termes improvisés et poignants; puis il se tournait vers moi en riant de confusion, mais les yeux encore pleins de larmes.
    Dès le lever du soleil, il commençait l'expédition des affaires, présidait le conseil, rendait la justice et envoyait de tous côtés des messagers pour nouer ses intrigues compliquées. La vigilance, l'ordre, le discernement qu'il déployait surprenaient tout le monde. Il formulait ses instructions et ses ordres avec concision et clarté, et possédait le don de commandement; il avait l'adresse de faire croire à une supériorité plus grande encore que celle dont il était doué; la moindre parole était dite à intention; il posait toujours, souvent

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