Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
dénotaient la force; ses bras étaient trop longs et disgracieux dans leurs gestes; ses mains quoique un peu grandes étaient belles et élégantes. Il avait la figure ovale, la barbe noire et rare, la bouche grande et les dents superbes; le nez aquilin, largement enraciné, les narines mobiles, les yeux vifs, grands et enfoncés sous des arcades couronnées d'épais sourcils, le front développé, légèrement fuyant et commençant déjà à se dégarnir; son col long et fort était d'une flexibilité telle qu'il pouvait presque regarder son dos, ce qui, joint à la petitesse de sa tête et à l'ensemble accentué de ses traits, lui donnait parfois la pose d'un oiseau de proie.
Tout en lui indiquait l'intelligence, la passion, une énergie cruelle et une sensibilité exquise; il n'avait pas ce qui complète le tyran supérieur: l'impassibilité du visage et du regard. Les muscles de son visage, toujours prêts à se contracter, indiquaient un caractère tourmenté, l'inquiétude, le soupçon et l'astuce; et quand son regard ordinairement bienveillant s'animait, il devenait pénétrant et difficile à supporter. Ses manières annonçaient l'orgueil, la fierté et un certain élan dominateur qui dénotait que sa fortune était ascendante. Doué d'une mémoire des plus heureuses, il n'oubliait plus le terrain ou l'homme qu'il avait vu une fois. Physionomiste habile, il montrait souvent une perspicacité féminine dans son discernement des caractères. Il s'emportait sur ses préventions comme sur ses préférences; ses amitiés, toujours conduites par la passion, se sont toutes éteintes dans le sang. Calculateur et cupide, ses richesses étaient ordonnées d'une manière scrupuleuse et avare; malgré cette disposition, il donnait en prince, et sa libéralité intelligente, ingénieuse souvent, lui a valu une réputation de générosité qui attirait dans son parti des chefs et des soldats de fortune des provinces les plus éloignées. Langue dorée à l'occasion, il était à son gré bourru ou gracieux et insinuant; mieux que personne, avant d'étreindre sa victime, il savait l'envelopper de sa parole pleine d'artifice. Jaloux et envieux de toute supériorité; aujourd'hui bon, sensible, tendre même, demain dur, cruel, le sarcasme à la bouche. Sa pensée, qui procédait par soubresauts, était comme un champ de bataille où le bien et le mal se disputaient l'empire; il passait sans transition d'une action vertueuse à un trait de férocité. Parfois les paroles sortaient de sa bouche, comme par orage, par explosion volcanique: il révélait alors ses intentions les plus secrètes; parfois c'est en silence qu'il accumulait ses résolutions, ses ruses, ses bassesses, et qu'il échafaudait ses projets. Un tel caractère ne pouvait être fort d'une façon continue; aussi était-il dissimulé et défiant à l'excès. Il m'arriva un jour que j'entrai de grand matin dans sa tente, de le trouver tout en larmes devant un livre de prières. Il me parla de quelques-uns de ses actes avec repentir, mépris, et de sa vie entière avec découragement; je tâchai de le relever dans l'estime de lui-même et de ranimer sa confiance; il se calma, se prêta à mes raisons, mais soudain il se redressa comme une couleuvre dégourdie, et il me dit, le regard flamboyant, que je n'étais pas sincère, que je le trahissais, que j'étais son ennemi moi aussi, et sans attendre ma réponse, il me sauta au cou en me demandant pardon.
Cependant l'ordre fut donné de servir à déjeuner. L'huissier introduisit un homme nu jusqu'à la ceinture, portant sur la tête une corbeille à pain recouverte d'une longue housse écarlate, et suivi du panetier, de l'échanson et de deux servantes qui portaient avec précaution deux plats couverts et fumants.
Ces corbeilles à pain sont rondes, plates, faites en paille fine, à dessins de couleur, montées sur un pied creux en vannerie, et munies d'un couvercle conique; leur diamètre est d'environ cinquante centimètres, et leur hauteur d'un décimètre et demi. Elles contiennent de vingt à quarante feuilles de pain et servent aux repas intimes qui n'exigent pas qu'on dresse une table. Les plats sont posés à terre à côté de la corbeille; le panetier s'agenouille auprès, déchire des feuilles de pain, les imbibe de sauce et les répartit dans la corbeille devant les convives accroupis autour; puis il retire des plats les mets plus solides et les portionne de la même façon. Le pain est fait de
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