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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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séparant.
    —Halte! cria-t-il; messeigneurs, j'ai à m'entretenir avec mon frère. Faites-lui vos adieux.
    Tous les notables défilèrent devant nous, en me disant, selon l'usage:
    —Que Dieu fasse que nous nous retrouvions dans le bien!
    Nous chevauchâmes seuls désormais, côte à côte: les cavaliers de l'escorte d'Ymer, à une centaine de pas en arrière, et le petit groupe de mes gens en tête, au loin. Nous arrivâmes à un ruisseau:
    —C'est ici, me dit Ymer, que nous nous séparerons. Vois ces berges vertes, ce gué facile et cette eau limpide. C'est de bon augure. D'ailleurs, ce ruisseau m'a déjà porté bonheur une fois: je te conterai ça un jour.
    Et, posant la tête sur mon épaule à la manière antique:
    —Béni, béni soit ton voyage, comme le jour qui nous réunira! dit-il.
    Un bond de son cheval l'éloigna, et il me cria:
    —Frère, frère, comme au combat: le plus vite, c'est le meilleur!
    Et il partit à fond de train, la javeline en arrêt et jetant au vent des: Ha! ha! ha! cris usuels dans la mêlée ou dans la chaleur du jeu de cannes.
    Et, oppressé par l'isolement, je repris ma route avec une vingtaine de suivants, dont un bon tiers étaient des prisonniers libérés, qui profitaient de mon départ pour regagner leurs quartiers.
    À ces émotions en succédèrent bientôt d'autres d'une nature bien différente. Nous avions à faire deux grandes journées de route avant d'arriver au camp du Dedjadj Birro; les cultivateurs riches s'étaient réfugiés dans les villes d'asile, avec ce qu'ils avaient de précieux; le pays semblait désert; mais nous savions que de derrière les accidents de terrain, les paysans en armes nous épiaient, et que la vue de notre petit nombre pouvait les engager à nous attaquer. Nous venions de déposséder les gouverneurs du pays, et l'administration du Dedjadj Birro, mal assise et contestée en plusieurs endroits, laissait le champ libre aux violences et aux désordres habituels durant les interrègnes: des hommes d'armes en troupe sont les seuls en cas pareils à se hasarder loin des villes d'asile. Cependant, en nous bien gardant, nous pûmes arriver sans encombre, le surlendemain matin, au camp de Birro.
    En chemin, j'avais fait une rencontre imprévue: nous marchions en plaine, lorsque nous vîmes au loin une petite file de piétons. J'allai avec mes deux cavaliers les reconnaître: c'était une trentaine de messagers et de gens pressés par leurs affaires, qui afin de ne point tenter la cupidité des paysans, voyageaient sans armes et vêtus de haillons; ils se dispersèrent pour aller se cacher dans les fourrés. Voyant parmi eux un Européen, qui arpentait résolument le terrain, je lui coupai la retraite, et je ne fus pas peu surpris de reconnaître maître Domingo, le domestique basque de mon frère, que j'avais laissé à Gondar. Nous fûmes aussi contents l'un que l'autre de nous retrouver. Pour la première fois, depuis longtemps, je pus entendre parler le français, mais, dans les premiers instants, ma langue déshabituée me refusa son service si ce n'est en amarigna. Les bruits les plus extravagants couraient à Gondar sur mon compte: les uns disaient que j'étais parmi les blessés, d'autres parmi les morts; tous donnaient à mon aventure une tournure faite pour alarmer mes amis. Afin de fixer ses incertitudes, et, s'il était possible, d'atteindre notre camp, le bon Domingo avait profité de cette petite caravane, en ayant soin de s'affubler de la façon la plus misérable.
    Le Dedjadj Birro s'était établi à Kobla, dans le Dambya, sur un mamelon pierreux qu'entouraient les campements de ses chefs; il n'avait guère avec lui plus de 12,000 hommes. En entrant dans le camp, je ne pus m'empêcher de regretter celui de Monseigneur, où le dernier goujat m'accueillait du geste ou du regard. Ici, j'étais presque un étranger: au lieu de pénétrer librement jusqu'à la tente du chef, je dus subir la filière des huissiers de service; mais l'empressement avec lequel l'un d'eux vint me prier d'entrer, allégea ma pénible impression. Birro se leva pour me recevoir et m'embrassa: marque d'honneur dont il était très-avare. Il me fit asseoir à ses côtés, et, après les premières questions:
    —Qui t'a escorté jusqu'ici? me dit-il.
    —Personne.
    —Par la mort de Guoscho! Je reconnais là mon père.
    Et se tournant vers quelques seigneurs:
    —Voilà bien l'imprévoyance de Monseigneur, ajouta-t-il. Il a toujours besoin de quelqu'un qui

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