Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
auprès de Tchilga pour dévaster le koualla qui l'entoure, enlever ainsi des ressources aux assiégés et ravitailler ses soldats. Nous revînmes chargés de vivres au camp de Kobla.
Peu après, des chefs de partisans qui tenaient isolément la campagne, se concertèrent pour surprendre notre camp: c'était après minuit; nous dormions tous, jusqu'aux fusiliers qui étaient de garde devant la tente du Dedjazmatch. Réveillé par les cris, j'entendis Birro qui maugréait en s'armant à la hâte; il s'élança hors de sa tente en faisant retentir sur son passage le refrain bien connu de son thème de guerre. Le camp, attaqué de deux côtés opposés, était dans une confusion inexprimable. Birro courut au camp de droite, où l'attaque était la plus vive; des soldats mirent le feu à quelques huttes et de rougeâtres lueurs éclairèrent la scène. Les assaillants, au nombre d'environ 700, avaient fait une large irruption, et s'avançaient de plus en plus au milieu de nos huttes en combattant avec fureur; mais nos gens affluaient, et, encouragés par la voix de Birro, se jetaient tête baissée dans la mêlée; Birro lui-même en fit autant. Pendant trois ou quatre minutes, les cris cessèrent; on n'entendit que le fer et les coups. Une clameur victorieuse s'éleva parmi les nôtres: le brave Guolemdatch et une poignée de rondeliers faisaient une trouée dans les rangs de l'ennemi, qui recula en désordre et disparut dans l'obscurité, laissant quelques morts et une trentaine de prisonniers. Des cavaliers, déjà en selle, poursuivirent les fuyards, mais sans oser les entamer. Nos timballiers battaient à tout hasard la charge au centre du camp. La crainte d'avoir le Dedjazmatch sur les bras décontenança l'attaque faite contre notre camp de gauche, où les assaillants étaient pourtant en plus grand nombre; ils se retirèrent précipitamment sans grande perte. Nous eûmes une vingtaine d'hommes tués et un nombre moindre de blessés; on nous tua aussi deux femmes et on nous en blessa une trentaine.
Au point du jour, Birro fit couper le poignet droit à quelques-uns des prisonniers, et ordonna aux autres d'emmener les mutilés afin qu'ils servissent d'exemple aux rebelles; et, le même jour, nous quittâmes le terrain incommode où nous campions pour aller nous établir un peu plus loin. Au moment de monter à cheval, Birro me fit cadeau de sa belle pèlerine blanche que depuis quelques jours ses principaux seigneurs lui demandaient à l'envi. Peu après, manquant encore de vivres, le Dedjazmatch fit publier un ban engageant les habitants de certains districts à mettre à couvert leurs personnes, leur bétail et leurs objets précieux, afin qu'il envoyât ses soldats se ravitailler sur leurs terres; il leur accordait en même temps l'exemption d'une année d'impôts. Les habitants se prémunirent en conséquence; mais ils s'apostèrent, laissèrent s'effectuer le pillage, et attaquèrent nos gens sur plusieurs points à la fois, lorsqu'ils revenaient en désordre chargés de vivres. Notre arrière-garde eut fort à faire pour les dégager: nous y laissâmes une soixantaine de morts; nous fîmes prisonniers une trentaine d'hommes et plus de 200 femmes.
Birro ayant perdu dans cette affaire un parent douteux, ou, pour le moins, très-éloigné, saisit ce prétexte pour sévir cruellement. On annonça aux prisonniers rassemblés sur la place la mort du parent du Dedjazmatch, qui leur fit demander ce qu'ils avaient à dire pour se justifier. Les femmes répondirent par des sanglots; un des prisonniers s'avança devant la tente et dit:
—Ô monseigneur, à toi la force! Tu es l'étoile de ton matin, et tu annonces les splendeurs de ta propre journée. Que Dieu fasse luire à tes yeux la vérité de mes paroles. Au commencement de son règne, Conefo aussi nous laissa maltraiter; nous prîmes les armes et nous fûmes vaincus. Mais, reconnaissant la justice de notre résistance, il nous gouverna avec mesure, et nous lui avons été de fidèles sujets pendant tout son règne. Nous avons refusé obéissance à ses fils, parce qu'ils ont été durs envers nous, et qu'ils ont méconnu l'héritage de leur père; aussi, n'étions-nous pas représentés à la bataille de Konzoula. Par obéissance à ton ban, nous avons laissé tes soldats se ravitailler sur nos terres; mais ils ont attenté à nos personnes; et où convient-il que le laboureur affronte la mort, si ce n'est sur son sillon? Nous espérions qu'il en serait avec
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